Imaginaire n°585
vendredi 22 décembre 2023
inspirée par
“Huit pieds sur terre”
de Gérard Battaglia
Tout n’est pas forcément une question de pieds.
DES PETITES TRACES DANS LE SANG
“Je vous envoie cette représentation de Khopjot, en signe d’amitié.”
— C’est quoi “Khopjot” chef ?
Le major Arnold Leblond, de la police militaire, tient un message dans sa main. Un message écrit sur un support étrangement métallique, mais aussi doux qu’un vélin.
Le lieutenant Reynald Brume, qui dirige cette enquête depuis quelques mois, reste coi.
— Lieutenant, on peut retirer le corps ?
— Faites, s’adresse-t-il au factotum de l’identité judiciaire militaire.
Ce dernier, qui essaye de ne pas marcher dans les flaques de sang qui inondent la scène, passe alors avec une des parties de la victime.
— N’oubliez pas le reste, Georges ! précise le lieutenant.
L’autre, qui bien qu’habitué des scènes de mort, a du mal à ne pas vomir son dîner. Il lance au passage un regard noir à son supérieur.
— Lieutenant, j’en ai vu des morts, de Sarajevo à Mogadiscio, de Beyrouth à Boutcha... mais là ! Cette tête... c’est à gerber.
— Retenez-vous, Major, réplique Reynald Brume un rien excédé.
En effet, la tête de la victime, sans avoir été décapitée, a été entièrement “nettoyée”, ne laissant que le crâne visible et totalement lisse.
Georges Laporte, de l’identité judiciaire, revient après avoir déposé dans l’ambulance le bassin et les jambes du corps.
— On peut enlever... ça, Lieutenant ?
— Vous pouvez.
— Reste à savoir ce que veut bien dire ce message, s’interroge le Major Leblond.
— Et surtout qui est la victime. Vous avez interrogé le planton de l’Hôtel ?
— Il est introuvable. On a réussi à contacter le directeur de cet établissement ; il est en vacances à Hawaï. Il sera ici demain matin.
Un bruit étrange interrompt leur discussion. Un bruit qui semble venir du sous-sol de ce rez-de-chaussée.
— Il y a une cave ? s’inquiète le Lieutenant.
— Bah... on a tout inspecté... aucune cave !
Soudainement un cri atroce vrille leurs tympans. Un cri humain, ou en tout cas qui y ressemble.
— Cherchez-moi d’où ça vient bordel de merde ! gueule le chef enquêteur.
— Lieutenant, on a trouvé. Derrière ce meuble-là, une grille d’aération.
Le chef s’avance, se met à genoux et découvre une grille maculée de sang, et des traces sur le sol, qui étaient cachées par le mobilier. Des petites traces, comme des pattes d’insecte qui semble conduire à l’intérieur de la bouche d’aération.
— Chef !
— Qu’y a-t-il encore, merde ! crie le Lieutenant.
— On a trouvé le passage pour descendre... dans la cuisine de l’Hôtel... c’était sous la cuisinière.
Le lieutenant se retourne vers son subordonné avec un air méchant.
— “On a tout inspecté” dites-vous ?
Le Major baisse la tête, dépité.
— Désolé, on pouvait pas savoir.
Se retenant de lui mettre une volée, le Lieutenant se précipite vers la trappe découverte sous la cuisinière. Prenant sa torche, il commence à descendre les marches en bois, suivi par le Major et deux autres militaires, l’arme au poing.
Ils mettent le pied dans une sorte de tunnel sombre et humide. Une odeur pestilentielle les prend au nez.
— Putain, qu’est-ce que ça schlingue ! note le Major en se bouchant le nez d’une main.
À cet instant même, en un éclair, quelque chose fend l’air et décapite le Major, dont la tête roule au sol comme le ferait une boule de bowling, avec un bruit sourd.
Les deux militaires, par réflexe conditionné, défouraille à tout-va, manquant de peu le Lieutenant.
— Cessez le feu, bande d’abrutis ! aboie-t-il.
Dans le silence revenu, ils perçoivent le bruit de petites pattes s’éloignant rapidement vers le fond de ce boyau souterrain.
— Éclairez par là, ordonne le Lieutenant.
Une moitié de seconde, tous ont vu ce qu’ils ont vu. Quelque chose d’incroyable que la lumière de leurs lampes leur a révélé, quelque chose qui scintillait, comme un objet d’or. Mais cet objet se mouvait à une vitesse impressionnante.
Derrière elle, elle laissait un corps. Enjambant celui du Major, ils s’approchent de cette dernière victime, et s’aperçoivent aux habits de celle-ci qu’il s’agit du portier de nuit de l’Hôtel.
— Mais c’était quoi ce truc putain de bordel de merde de chiassure de vérole de moine.
C’est au moment où le Lieutenant allait suivre la trace de cette... chose et qu’il a aperçu une sorte de tourbillon aux reflets bleutés très clairs, qui l’a presque aveuglé, que de la trappe, quelqu’un l’appel.
— Lieutenant ! Lieutenant !... Venez !
***
— Et donc, vous me dites que le cadavre qu’on a retrouvé ici, dans le salon de l’Hôtel, était celui du professeur Jack Humbold Kirby, du MIT ? Que vient foutre l’Institut du Massachusetts ici ?
Le docteur en parasciences, Ronald Parkinson est bien embêté, s’il peut informer ces français du nom de son collègue... il reste tenu au secret.
— La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’il y a des vérités qui ne peuvent être révélées... pas encore en tout cas.
— Pourriez-vous au moins me dire qui est cette personne : “Khopjot” ?
Le professeur lève la tête vers le Lieutenant qui l’interroge, à son air effaré, ce dernier semble penser que cet homme de science en sait en effet bien plus qu’il ne voudrait.
— Ah ! Comment connaissez-vous ce nom ?
Le lieutenant lui tend le message métallique.
Ronald Parkinson, après avoir lu la phrase, s’approche de l’oreille de l’enquêteur.
— “Khopjot” est le nom d’une divinité d’un autre monde, à ce que l’on sait, c’est un dieu de la vengeance et de la guerre... et croyez-moi, tant mieux qu’il soit reparti dans son monde.
— Et donc les traces que nous avons vu dans le sang frais, comme huit petites pattes, étaient celles de...
— ...D’un scorpion aux pouvoirs immenses et au caractère exécrable.
Alors que finit cet aparté, le directeur de l’Hôtel, Antoine Dufoix, entre dans son établissement et se dirige vers le petit groupe commandé par le Lieutenant.
— Alors, que s’est-il passé ?
Ni une ni deux, l’enquêteur pointe le doigt vers le nouvel arrivant.
— Arrêtez-moi cet individu ! Il est accusé de trois meurtres, dont son portier de nuit.
Souriant, le docteur murmure de nouveau à l’oreille de Reynald Brume.
— Sage décision... vaut mieux un faux coupable qu’une vérité scandaleuse.