1830, 1848, 1871, le xixe siècle aura connu trois évènements révolutionnaires majeurs et bien des mouvements sociaux. Chacun se soldant par la “défaite” de leurs protagonistes. C’est ce qui est raconté par Benoît Malon dans “La troisième défaite du prolétariat”, suite à l’écrasement dans le sang de La Commune de Paris.

EXTRAIT

“La révolution sociale qui vient de succomber à Paris ne manque pas d’antécédents historiques dans le passé ; car ce n’est pas de nos jours seulement que des exploités se sont soulevés contre les exploiteurs et que des opprimés ont frappé les oppresseurs des tronçons de leurs chaînes brisées.
Cette lutte de l’affamé contre le spoliateur, cette revendication éternelle de la justice contre l’inique privilège, a été pourtant l’événement que les écrivains et les orateurs de tous les temps, tous sortis des classes privilégiées, ont le plus flétri.”

ISBN 9791094773628

Imaginaire n°612
vendredi 23 février 2024
inspirée par
“La troisième défaite du prolétariat”
de Benoît Malon
 
L’amour du prolétariat n’est jamais une défaite.
 
ADIEU AUX CASSES
 
L’imprimerie nationale, située à L’hôtel de Rohan depuis l’Empire, imprime les affiches des communeux depuis le 18 mars.
Louis-Guillaume Debock, ouvrier typographe, était lieutenant du 86e bataillon de fédérés de la Garde nationale qui s’est rendu maître de l’institution. Il en est depuis la prise, le directeur.
Ce 25 mai 1871, alors que l’Hôtel de ville et la Préfecture fument encore, la situation est perdue pour la Sociale, mais jusqu’au bout son directeur en sera le fer de lance.
— Ursule, on va à Belleville, à l’imprimerie Prissette. Ces trois dernières affiches seront imprimées, ou on crève !
Ursule, typographe à l’imprimerie nationale depuis 1860, est un vieux de la vieille, fils de soldat de l’Empire à Austerlitz, Iéna et... Waterloo, opposant au “petit”[1] depuis 1850, il n’a cessé de diffuser les écrits, dont ceux de Marx et de Proudhon.
— Oui Louis, tu crois qu’on pourra encore rejoindre le passage Kuszner ? Passer entre les balles des larbins d’Adolphe ?
— Il le faut compain !
Les deux ouvriers se précipitent dehors juste avant que Barthélemy Hauréau, le sbire versaillais ne reprenne en main l’outil.
— On passe par la place du Chateau d’eau[2] ?
— Non... trop à découvert... on va passer par Oberkampf, Saint Maur et par la rue des Trois bornes jusqu’à la barricade de La fontaine au roi, après on ira sur l’Orillon. Le plus dangereux, c’est le Boulevard de Belleville... on traversera cette nuit et puis on finira par les petites rues jusqu’au passage pour un dernier boulot pour Jacques.

***

— Jacques[3] ! Ça fait plaisir de te voir encore en vie.
— Moi aussi... sacré Louis, et toi... Ursule.
Ils se serrent les uns contre les autres, comme des survivants dans une tempête de feu et de fureur.
Puis, Jacques Prissette, se reprend, souriant comme à son habitude, la main toujours sur l’épaule de son camarade de lutte, Ursule Lantier, depuis le coup d’État du “Petit”, lorsque jeunes hommes ils étaient déjà engagés dans la lutte du prolétariat.
— Allons amis, nous lutterons jusqu’à la mort s’il le faut, mais Adolphe, on lui fera bouffer son huit-reflets[4] !
— Tiens, les trois dernières affiches qu’il faut tirer, tout de suite !... Dont celle-ci du Comité de salut public :
“Soldats de l’armée de Versailles,
Le peuple de Paris ne croira jamais que vous puissiez diriger contre lui vos armes quand sa poitrine touchera les vôtres ; vos mains reculeraient devant un acte qui serait un véritable fratricide.
Comme nous, vous êtes prolétaires ; comme nous, vous avez intérêt à ne plus laisser aux monarchistes conjurés le droit de boire votre sang comme ils boivent nos sueurs.
Ce que vous avez fait le 18 mars, vous le ferez encore, et le peuple n’aura pas la douleur de combattre des hommes qu’il regarde comme des frères et qu’il voudrait voir s’asseoir avec lui au banquet civique de la Liberté et de l’Égalité.
Venez à nous, Frères, venez à nous ; nos bras vous sont ouverts !”
— Mais elle date d’il y a trois jours déjà, Louis !
— Je sais, mais on la retire quand même, sur ordre de Delécluze.v Soudainement, la porte de l’atelier éclate en morceaux, vomissant la ruée des versaillais.

***

— Soldats ! En joue !
Debock et Prissette ont réussi à fuir lorsque les soldats, marionnettes de la bourgeoisie, larbins décérébrés ont défoncé la porte de l’imprimerie. Ursule s’est sacrifié, tirant comme un forcené sur les assaillants et laissant à ses amis le temps de s’échapper de la nasse.
Arrêté, malmené, on l’a coincé contre le mur, juste à côté des casses. Ces casiers où sont rangés méticuleusement tous les caractères qui accompagnent les artisans du savoir et de la liberté ; ces caractères typographiques, porteur de connaissances, d’amour ou de rêves.
Ursule les regarde une dernière fois avant de devoir entendre...
— Feu !

[1] Allusion à Napoléon III, surnommé “le petit” par Victor Hugo dans son pamphlet de 1852.
[2] Aujourd’hui Place de la République.
[3] Jacques Prissette imprimera les dernières affiches de La Commune, au 17 passage Kuszner (n’existe plus).
[4] Allusion au Haut-de-forme de cérémonie bourgeoise.