Encore quelques “micronouvelles” de cet auteur insaisissable avec ses “petites” histoires du monde, de son monde, de ses mondes, le tout aux accents désabusés sur fond d’humour jaune ou noir.

EXTRAIT

“WONDERWOMAN À LA MANIF

Elle n’en finissait plus d’ouvrir des lettres de doléance « Wonderwoman, viens vite ! », « Wonderwoman, sauve mon chien ! », « Wonderwoman, sauve ma fille ! »...
Wonderwoman décida donc de répondre à chacune, la même chose : « Il est grand temps que tu te sauves par toi-même, tu en es capable, je crois en toi. Bisous ».
Wonderwoman avait posé un jour de congé pour se rendre à la manif, avec les copines. Elle en rêvait depuis longtemps, d’une grande manif.

LES VAINCUS

Ils se suivent en une lente procession, enchaînés les uns aux autres, portant pancarte devant « SANS EMPLOI »,
« JE NE SERS PLUS A RIEN » dans le dos.
Ils traversent la place du centre-ville, baignée de soleil et de badauds curieux.
« À MORT ! À MORT ! » hurle-t-on sur leur passage.
Ils sont des centaines, les yeux baissés, tandis que des militaires armés jusqu’aux dents les frappent avec la crosse de leur fusil d’assaut, les enjoignant de rester bien serrés et sans plus dire un mot.

ISBN 9782851221247

Imaginaire n°613
lundi 26 février 2024
inspirée par
“Le monde (encore) englouti”
de Thierry Roquet
 
On a beau faire, mais de temps en temps, vraiment on n’y peut rien.
 
LA PROPHÉTIE
 
Keya, étudiante sénégalaise en vacances, est en train de marcher sur la courte plage de l’île de Gorée, de triste mémoire. Elle est pensive et ne se préoccupe pas de la vague qui, assez surnaturellement, s’avance vers elle, et même... cette houle semble la suivre.
Alors, sortant de l’onde, un homme d’une taille impressionnante se montre, jaillissant devant elle. Il est nu, sauf un pagne et un sac en bandoulière.
La peau d’un noir brillant, les muscles bandés, il lui sourit, il reste silencieux.
Elle, s’est figée. Très bizarrement, elle n’a pas peur du tout. Elle le regarde comme si elle le connaissait déjà depuis longtemps.
Elle penche la tête de côté, lève son regard, plonge ses yeux dans les siens.
Elle sourit.
— Tu es Koffi ?
— Oui, nous nous sommes croisés...
— ...Dans mes rêves, c’est bien ça ?
Il ne lui répond qu’en baissant les paupières pour confirmer ce qu’elle a senti.
— Le monde est de nouveau face à un nouveau déluge mortel, princesse.
Sous le coup de la surprise, elle a un mouvement de recul.
— Princesse ? C’est donc vrai ?
Il lui sourit de plus belle en se mettant à genoux devant elle. Mais il est si grand que sa tête est à hauteur des épaules de la jeune fille.
Délicatement, il lui prend la main droite, il en sort d’une poche de son sac, un anneau d’or, large et gravé.
— Oui princesse, Nsimba et Nzuzi, vos frères m’ont chargé de vous remettre l’anneau d’Ys[1].
Tout en disant cela, Koffi fait glisser très lentement l’anneau sur l’annulaire.
— Qui est Ys, Koffi ?
Il relève la tête, toujours à genoux.
— Ce n’est pas “qui”, princesse... c’est “quoi”.
Tout en regardant son doigt et l’anneau briller au soleil, elle pose la main sur le haut du crâne du serviteur.
— Alors... qu’est-ce que “Ys”, dis-moi. Je suis très curieuse.
— Ys est l’ancienne capitale du royaume africain.
— Le royaume africain ?
— Oui princesse, bien avant les égyptiens, lorsque les tribus de l’ouest ont uni tous les peuples de l’Afrique.
— C’était quand ?
— Oh, il y a des dizaines et des dizaines de milliers d’années...
Un nuage gris-vert, à l’allure menaçante, s’avance vers l’île, à contre-sens du vent. Koffi le remarque. Son visage jusque-là serein, se ride, la peur l’envahit. La princesse n’a pas vu le funeste présage, et lui ne veut pas l’inquiéter encore. Il lui prend la main, fortement.
— Pardon, princesse, nous devons nous presser.
Elle résiste, commençant à voir l’angoisse de Koffi.
— Pour ?
— Je dois t’emmener à Ys, pour ta protection, rencontrer tes frères et sauver le monde.
Au même moment, dans un vacarme assourdissant, un éclair gigantesque, sortant du nuage fétide, strie le ciel bleu et vient frapper Keya dans le dos.
Elle s’écroule, et alors que Koffi la prend dans ses bras, en pleurs, dans un dernier râle, elle prie.
Nos chemins étaient de cette destinée
Comment aurions-nous pu deviner
Que c’est ici que se finissent les journées
Qu’avant le déluge je sois calcinée.
Koffi, dans un dernier souffle, avant d’être lui aussi frappé, se remémore.
— La prophétie ne pouvait être déjouée... c’est la fin des temps qui débute.

[1] La légende situe Ys sur les côtes de Bretagne... mais qui sait vraiment ? Après tout, les bretons sont des marins.