Gazette n°516
vendredi 14 juillet 2023
inspirée par
“Les premiers hommes dans la Lune”
de Herbert George Wells

Aventurier de l’espace... quel danger !

L’HISTOIRE TRISTE ET NAVRANTE D’UN CORSAIRE DE SA MAJESTÉ CHARLES III
SUR UNE FUNESTE PLANÈTE LOINTAINE MAIS QUAND MÊME ASSEZ JOLIE

Le ciel est d’un rose de toute beauté, un air frais et vivifiant entoure Le Gubbins, vaisseau de la Terre, venu prendre possession de cette nouvelle planète, dans la proche banlieue du système solaire, à un peu plus de trente-neuf années-lumière de la grosse boule bleue. “Trappist-1 d” de son nom scientifique, mais que tout le monde a baptisé “Chimay”, va recevoir enfin la visite de l’espèce humaine.
— Alors sir ?
— Formez le Hopus-Trifould III ! Faites attention au Tronchal, débordez le Tropoldigou et raclez les bords de la Pirlouze[1]
John-Henry King, commandant de la mission, est un être pointilleux et d’une assurance à toute épreuve.
— À vos ordres, sir... tout de suite !
Sean Melford, quant à lui, est un second efficace, d’une célérité proverbiale. Avec lui les ordres sont exécutés sans délai.
— Bien, passez-moi les trimelles[2], que je vois un peu tout ça de plus près.
Les hautes herbes pourpres de Chimay se balancent mollement au grès du vent. De grands arbres aux feuilles d’un bleu turquoise offrent leur ombre à quelques animaux autochtones. Ceux-là ressemblent à des chats au corps très allongé et couvert d’un pelage vert émeraude scintillant au soleil. L’un d’eux, voyant le vaisseau achimaisant[3], se précipite pour grimper au tronc d’un de ces arbres, au blanc d’ivoire. Sautant de branche en branche pour en atteindre le sommet.
— Charmant comme accueil, n’est-il pas monsieur Melford ?
— Oui sir, mais tout de même méfions-nous, peut-être sont-ce là animaux féroces ?
— Allons, vieille baderne ! Ils me font souvenir mon chat Archibald, un “blue devon rex” que j’avais quand j’étais en poste dans le Surrey. Ça ronronne comme une Roll’s tout ça.
Le second est légèrement inquiet malgré tout.
— Préparez-moi ma tenue d’inspection de parade.
— Oui sir.
— Le faisceau de communication pour notre prise de possession fonctionne ?
— Parfaitement, sir.
— Bien, bien...
John-Henry se vêt de son uniforme de Space Guards, offert par le roi Charles III juste avant le départ de la mission, lors d’une cérémonie à Saint-Patrick : une veste bleu cobalt, à épaulettes d’or, pantalon canari à bandes vert-jade, ainsi qu’un bicorne orné d’une cocarde aux couleurs de l’Union Jack.
— Je me demande qui règne désormais sur l’Empire ?
— William, certainement... sauf accident parisien, sir.
Le commandant fronce les sourcils, cet humour un rien désobligeant pour la couronne ne lui plaît guère.
— Sean ! Tsss tssss, il vous prie.
— Pardon, sir, cela m’a échappé.
— Laissons cela aux Monty, voulez-vous bien.
Le second baisse la tête en signe d’une humble résipiscence. Le commandant, débonnaire et magnanime, lance une grande tape dans le dos de son second.
— Allons, allons... oublions tout ça !
— J’ouvre le sas, sir ?
— Oui mon cher Sean... ouvrez et lancez la diffusion de cet historique moment.
À cet instant-là, s’arrêtant net sur le pas de l’échelle, alors que l’air de Chimay emplit le vaisseau. Le commandant se retourne vers son subordonné.
— Que devrais-je dire ?
— C’est-à-dire, sir ?
— Eh bien... comme phrase historique.
Sean se gratte un peu la tête.
C’est à ce moment précis qu’une de ces bêtes se jette sur le commandant et l’entraîne tout au bas de l’échelle pour le dévorer.
Au dernier moment, alors que le second vient de refermer le sas et d’entamer précipitamment la procédure de redécollage d’urgence, l’inspiration de “la” phrase historique vient d’un coup au commandant John-Henry King :
— God save the King !

Épinac, le 14 juillet 2023

[1] Quelques termes techniques.
[2] Les jumelles renvoient une image en 2D, les trimelles donnent une vision en 3D !
[3] Verbe désignant le fait de se poser sur la planète Chimay.