“Denis éditions” éditions artisanales - Plus qu'une édition, une envie de partage
Écrits noirs et gris avec la mort comme compagne. Quelques poèmes épars entrecoupés de courtes nouvelles aux accents d’humour aussi noir que la robe de la Camarde.

EXTRAIT

“SACRÉ CAFARD

Je marchais tranquillement dans ma librai-rie, faisant les cent milliards pas en tournant en rond, quand soudainement j’entendis une petite voix :
— Ne m’écrase pas Ducon !
Je regardai alentour... ma librairie n’étant pas bien grande, ça n’a pas mis longtemps : personne !
— Naaan mais fais gaffe... meeeerde !
La voix semblait venir du sol.
Je m’étais arrêté net dans mon mouvement pédestre et j’avais sous la semelle de ma sandale : un cafard !
Un petit mouvement de torsion de ma cheville, et la discussion était close ! Mais honnêtement, vous en connaissez beaucoup vous des blattes qui déblatèrent ?
Je bougeais mon pied et le posais à côté ; dans le même temps, je me baissais pour regarder de plus près si j’étais pas devenue complètement maboule à force de ruminer sur mes échecs sentimentaux.
— Tu veux ma photo ?
La “chose” avait ce je ne sais quoi de ce langage fleuri qu’on ne voit presque plus que dans certains films pour adultes dégé-nérés comme moi, genre “Minions” ou “Shrek”. En plus il avait l’accent titi parisien typique des arrondissements popu-laires.
— Euuuh, je suis désolé... Monsieur...
Je m’aperçus à ce moment que je commen-çais à entretenir une conversation avec un représentant de l’ordre des blattoptères. Mais bon, plus rien ne m’étonnait après la branlée que je m’étais prise avec mon dernier “coup de cœur”.
— M’appelle pas “Monsieur” ; moi c’est Marcel !
— Ah ? Beeeen, bonjour Marcel. Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Ouaih ! Pour sûr, ça mon gars.
— Ah ? Quoi ?
— Arrête de tourner en rond, tu vas faire un cercle dans le sol si tu continues, et puis j’en sais quelque chose : avoir le cafard, c’est comme qui dirait ma spécialité.
Je m’assis devant lui, à l’indienne, je mis mes mains sur mes genoux, et je me baissais pour continuer cette conversation. Quand soudainement un bruit fracassant vint interrompre le silence laissé par l’ab-sence de visiteurs dans ma boutique.
Je me tournai en direction du bruit.
Une voiture venait d’embrasser un quinze tonnes.
Deux corps humains, inanimés, ensanglan-tés, désarticulés, sortaient de l’habitacle... l’un sans tête.
Le spectacle était assez incroyable. Je n’avais jamais vu ça hors de certains films. Je me retournai pour donner mes impres-sions à Marcel...
...il avait disparu.
— Sacré cafard !
Il était parti.”

ISBN 9791094773925

Gazette n°521
mercredi 26 juillet 2023
inspirée par
“Chatouillons la mort avant qu’elle ne nous fasse rire”
de Énis

Y a des rencards qui peuvent attendre.

LE RENCARD

— Robert !... y a quelqu’un pour toi.
Alfred, le logeur de Robert, a autre chose à faire qu’à s’occuper des rendez-vous galants de son locataire. C’est donc sur un ton comminatoire qu’il le hèle aussi abruptement.
Robert, grand gaillard du sud-ouest, sourire aux lèvres, se pointe alors sur cette injonction.
— Oui ?
Il voit devant lui une personne assez étrange dans son accoutrement. Lui qui s’attendait à “Jules, bien baraqué, 34 ans, bien monté, libre et chaud”, le voilà en face d’une grande bringue, toute habillée de noire, capuche sur la tête et portant une grande faulx à la lame bien acérée et luisante au soleil.
— Tu es bien “Robert, 62 ans aux prunes, malade de son petit cœur, libre pour tout voyage expérimental” ?
— Euuuh... oui...
Robert se tourne vers Alfred qui s’est replongé dans son étude d’une parution poussiéreuse.
— Dis, c’est une blague que tu me fais ?
Alfred, sans lever la tête...
— J’ai aut’chose à branler.
L’allusion à peine voilée de ses turpitudes fait légèrement rougir les joues de Robert.
— Alors c’est toi qui es “malade de ton petit cœur” ? s’impatiente un peu le airdévé sur un ton agacé.
— C’est bien moi, mais j’attendais... un autre gabarit. Genre plus musclé et en tenue hawaïenne... un mec qui s’appelle Jules.
À ce moment-là de cette rencontre étrange, Robert remarque son rencard de l’autre côté de la rue, en face. Retrouvant le sourire, il écarte la grande bringue.
— Désolé mon pote, mais y a le Jules qui s’pointe... et c’est pas pour toi.
Jules commence à traverser la rue au même moment qu’une fourgonnette des pompes funèbres Yadlajoie[1] qui passait par-là.
La rencontre fut fatale.
— Eh bien si... c’est pour moi... nouveau client.
Robert ne peut que constater l’effroyable vérité... il devra se contenter d’une autre veuve. Quant à celle-ci, toute de noir vêtue, faisant demi-tour en sifflotant “La Paimpolaise”, va ramasser son “client” en laissant Robert à son petit cœur malade...
...jusqu’à la prochaine fois.

Épinac, le 26 juillet 2023

[1] Devis prémortem. Cercueil garanti à vie. Promotion estivale. Tél : 01 49 27 49 27.