Une petite biographie de Michel Bakounine, tirée de “Correspondance de Michel Bakounine” paru en 1896. Découverte d’un des plus illustres théoriciens de l’anarchie. Suivez les allers et retours de cet orateur hors pair dans l’Europe du xixième siècle en plein bouleversement politique.

EXTRAIT

“Si l’on envisage l’activité de Michel Alexandrovitch Bakounine au point de vue utilitaire, on doit reconnaître que c’était un des hommes les plus remarquables de la Russie. Son action ne s’étendait pas exclusivement à son pays ; c’était un de ces rares Russes exerçant leur influence sur le cours des événements dans l’Europe entière.”

ISBN 9791094773611

Gazette n°528
vendredi 11 août 2023
inspirée par
“À la poursuite de Michel Bakounine”
de Michel Dragomanov
 
Il faut souvent faire attention à ce qui nous entoure.
 
DANS L'OMBRE
 
Rue de Charonne, à Paris, février 1847.
Il fait assez froid cet hiver-là, les pavés sont couverts d’une petite épaisseur de neige glacée. Ce soir-là, cette partie de la rue est calme. Il y a bien les quelques cafés encore ouverts pour égayer de leur brouhaha la quiétude parisienne.
Au numéro 34, il y a un petit immeuble assez pauvre, de trois étages. Une seule lumière s’échappe de la fenêtre du deuxième étage. Lueur vacillante de quelque bougie.
De temps en temps, des éclats de voix arrivent aux oreilles de l’homme, calfeutré dans un long et vieux caban bleu nuit, élimé, où l’on distingue le dessin d’un insigne.
L’insigne de la marine impériale russe.
Dans l’ombre d’une porte cochère, son col relevé jusqu’au menton, il épie.
“La philosophie de la misère[1], voilà un titre qui sonne, cher Pierre et ce sera un app...”
Le soudain passage d’un fiacre brinquebalant empêche l’auditeur mystérieux de saisir la suite de la phrase.
“un app... ?” se demande-t-il.
Il sort un petit carnet, et à la lueur d’un réverbère, il prend note de ce qu’il vient d’entendre.
Soudain, ce sont des rires joyeux et bruyants qu’il perçoit.
“Ce Bakounine ne s’embarrasse pas de discrétion”, pense-t-il l’air maussade, “et ce français... Prodhon... Proudhon... oui c’est ça... Proudhon qui ose déclarer qu’il est anarchiste !” il secoue la tête comme pour se nettoyer d’une idée qu’il rejette.
La fenêtre s’ouvre d’un coup, un homme aux petites lunettes allongées et au collier de barbe, se penche par la fenêtre tout en riant aux éclats. Il reprend son calme...
— Ton cigare, Michel... franchement ! C’est dégueulasse.
L’autre se fait alors voir à ses côtés, en contre-jour, il rit aussi.
— Je t’avais bien dit que cette mauvaise habitude était une expérience à faire.
— Tu as raison... mais si tu le veux bien, reprenons le cours de nos projets.
— Oui... c’est intéressant comme perspective.
La fenêtre se referme et le silence pesant retombe comme un couperet sur cette scène.
“Je n’aurai plus rien... mais c’est fort inquiétant ces histoires de projets. Je vais faire mon rapport dès demain.” Se dit l’homme sortant de l’ombre.
Tout occupé à ses pensées, il s’avance en essayant de ne pas glisser. Mais il n’a pas vu le fiacre qui à ce moment-là, déboulait dans la rue.
Il y eut soudain un grand cri de terreur, un fracas de ferraille, de bois et de chairs. Le fiacre ne s’est pas arrêté, il a fui dans la nuit.
La fenêtre du deuxième s’est rouverte.
— Oh ! Regarde ça, Pierre...
— Sans doute un pauvre hère, ayant fini sa besogne, et qui l’esprit ailleurs, n’a pas fait attention.
— Une victime de l’ère moderne.
— Certainement Michel.
La fenêtre se referme, le silence revient, à peine dérangé par la maréchaussée accourue sur les lieux du drame.
 
nb : le lieu de cette rencontre, qui si elle a vraiment eu lieu entre les deux hommes à cette époque, est lui tout à fait imaginaire.

Épinac, le 11 août 2023

[1] Guillaumin et Cie éd., Paris, octobre 1846.