La vie de Gustave Doré racontée comme un roman, une quête, à travers les témoignages de ses parents et amis. C’est une découverte depuis ses premiers dessins à neuf ans jusqu’à son dernier... en passant par Gargantua, La Bible, La Divine Comédie, Paris, New-York, Londres, Le Corbeau et les dizaines et dizaines d’autres œuvres qu’il a illustré de son génie. C’est un livre rare sur l’un des plus grands illustrateurs de son siècle.

EXTRAIT



AVANT-PROPOS

En visitant la demeure de Gustave Doré, alors qu’il n’était plus du monde, l’idée me vint d’écrire un aperçu de ce qu’était « l’intérieur du grand artiste après sa mort ». Je travaillais à ce projet, qui ne comportait qu’une courte biographie, lorsque je fus prise du vif désir de publier l’histoire complète de sa vie.
Boswell dit qu’il parcourut la moitié de Londres pour prendre des notes. Dans le même but, je fouillai tout Paris. Ce travail, entrepris avec enthousiasme, me fut facilité d’une façon toute particulière : car il me procura le rare bonheur de connaître les divers personnages qui paraissent dans ce livre, et je constatai que chacun d’eux était, en son genre, presque aussi éminent, presque aussi intéressant que Doré lui-même.
A mesure que je transcrivais les renseignements que leur extrême obligeance me fournissait, je craignais que mes expressions ne fussent bien au-dessous de leurs pensées ; et je résolus de les laisser parler eux-mêmes dans mon récit.
M. Longfellow m’avait dit, un jour : « C’est chose grave que de prendre la vie d’un homme. » Et je sentais qu’il avait raison.

ISBN 9791094773536

Gazette n°527
mercredi 9 août 2023
inspirée par
“À la poursuite de Gustave Doré”
de Blanche Roosevelt
 
Il y a des rencontres qu’on n’oublie pas.
 
LA CURIOSITÉ... N'EST PAS UN DÉFAUT
 
Paris, 1847. Gustave Doré, alors âgé de quinze ans, est, à la demande de son éditeur[1], devenu parisien. Il vient d’éditer son premier livre illustré de ses lithographies : “Les travaux d’Hercule” et est élève du lycée Charlemagne.
— Gustave, regarde ! fais Antoine, son condisciple attablé avec lui.
Gustave repose sa tasse de café sur la petite table ronde.
— Tu crois que c’est lui ?
— Je t’assure, je l’ai vu place Royale, hier... aux bras d’une jeune femme... de toute beauté d’ailleurs.
— Sa femme ?
— M’étonnerait ! Elle est partie en sens inverse en se cachant sous la capuche de son manteau, et lui, après avoir jeté un coup d’œil vers l’un des immeubles, s’y est dirigé... j’ai demandé à un commerçant, l’air de rien. Il m’a dit que c’était bien lui et qu’il habitait au numéro 6.
Gustave ne perd pas un instant à observer le grand homme.
Ce dernier s’est assis sur la terrasse du café d’en face du leur. Il sort un journal.
— Antoine... t’as vu ?
— Quoi ?
— Il lit “Le Charivari”.
— Celui de Philipon ?... mais tu n’y as pas encore publié.
Gustave se retourne vers son compère, l’air las.
— Non, pas encore ! Mais il entreprend un autre hebdomadaire. Ça va s’appeler “Le journal pour rire”.
— Fameux titre !
Sans qu’ils s’en aperçoivent, une jeune femme s’est assise à côté de l’homme. Il replie le journal et le range dans la poche intérieure de sa veste. Il est très souriant, attentionné.
— Oh ! Regarde... une femme, s’aperçoit enfin Antoine en tapant sur l’épaule de son ami.
— La même que tu avais vu ?
— Non, celle-ci est blonde ; l’autre était une brune.
— Tu crois que c’est sa femme ?
— Je ne sais pas. Mais si c’est le cas, elle a l’air tellement plus jeune que lui.
Ils sont dubitatifs.
— Arrêtons de les regarder, ils vont finir par s’en apercevoir, chuchote Gustave.
— Tu sais, je crois qu’ils n’y font même pas attention... et puis ce n’est pas comme s’ils nous connaissaient.
— Qu’importe, j’aimerai tant illustrer ses œuvres.

***

Bruxelles 1856. Victor Hugo est attablé à la terrasse d’un café. Juste à côté de lui se trouve le jeune Gustave Doré, qui  à vingt-quatre ans vient d’illustrer l’une des œuvres majeures du grand poète, “Les contemplations”.
— Au fait, je ne vous ai jamais remercié, cher artiste.
— De quoi, maître ? fait d’un air étonné, Gustave.
— De m’avoir fait échapper à une triste histoire... avec une dame.
Gustave Doré recule sa tête, comme pour s’assurer que l’homme qu’il a en face de lui ne le prend pas pour un imbécile.
— Que voulez-vous dire ?
— C’est il y a quelques années. J’avais un rendez-vous galant avec une jeune personne, pensionnaire du Français[2]. Et votre façon insistante de nous regarder, avec l’acolyte qui vous accompagnait...
— Vous vous souvenez de cela ? paraît effaré Gustave, et comment savez-vous que c’était moi ?
— En me renseignant auprès du cafetier.
— Comment cela ?
— Peu après votre départ, la jeune personne en question a voulu me faire une scène de votre inquisition... pardon, de votre “curiosité”. J’avoue que je ne supporte que fort peu ce genre de théâtre. Aussi, je l’ai laissé vaquer à d’autres... aventures.
Gustave sourit de la manière dont l’auteur d’Hernani, narre cette anecdote.
— Et donc ? s’enquit-il.
— Eh bien, après, j’ai souhaité savoir qui étaient ces jeunes gens si impertinents, mais qui m’avaient sauvé d’une telle pimbêche. Fort heureusement, le serveur vous connaissait bien. C’est comme ça que j’ai su qui vous étiez... et qu’à votre si jeune âge, vous étiez déjà bien introduit auprès de monsieur Philipon dont j’apprécie le talent... pas toujours sur le fond, mais sur la forme.
— Mais, cher maître, vous parliez d’une “triste histoire”, puis-je me permettre d’insister, pour le fin mot de celle-ci ?
— Ah oui... à quelques jours de là, j’ai su que la jeune personne avait été retrouvée... assassinée dans son gourbi de l’Est parisien. Ainsi, votre intérêt pour moi ce jour-là, m’a permis de ne pas être mêlé à ce crime.
— En quelque sorte, j’ai sauvé votre... réputation.
Victor Hugo, ne sachant si cela était du lard ou du cochon, prit le parti d’en rire.
— C’est cela, oui ! rit-il de bon cœur.
 
Épinac, le 9 août 2023

[1] Charles Philipon (1798-1862), dessinateur, lithographe, journaliste, directeur de publications comme “Le Charivari” et ”La caricature”, fondateur de sa maison d’édition Aubert. Il est l’auteur de la très fameuse caricature de Louis-Philippe métamorphosé en poire.
[2] Autrement dit, La Comédie Française.