Le monde est rempli d’atmosphères, d’ambiances différentes selon le paysage, la culture, l’Histoire et les habitants des pays. Ces voyages vous emmènent... “ailleurs”.

EXTRAIT

“Je marchais dans une avenue très large. Des voitures et des tramways, dans un état pitoyable, circulaient sur la chaussée défoncée. Les bâtiments étaient sales. Certains immeubles, vétustes et délabrés, semblaient vides. Des doubles fenêtres les protégeaient du froid, mais elles donnaient aussi aux lieux un caractère secret. De l’un de ces immeubles gris, mystérieux, assourdis par la neige, j’ai vu sortir une femme. Elle a marché vers moi d’un pas lent, presque aérien, qui contrastait avec le mien, si lourd. Quand nous nous sommes croisés, j’ai pu détailler à loisir sa beauté et son élégance. Elle arborait une somptueuse robe de couleur crème, cousue dans une étoffe lourde ornée de passementerie, brodée de fleurs d’argent, très cintrée à la taille. Une robe qui me semblait copiée sur celles qui pullulaient à la Cour des tsars au milieu du dix-huitième siècle. Parée d’une simple rose piquée dans ses cheveux, elle ne portait aucun bijou, ni perle ni diamant. Son visage rayonnant, son corps gracieux, éclatant de santé et de vitalité, ses yeux vifs, malicieux, témoignaient de son goût de la fête. Mais son teint était blanc, livide comme celui d’une prisonnière qui n’a pas vu la lumière du jour depuis des années.”
(extrait de “Saint-Pétersbourg”)

ISBN 9782851220646

Gazette n°532
— pour adulte —
lundi 21 août 2023
inspirée par
“Ailleurs”
de Charles-Henri Lestelle
 
Partir ailleurs... sur un canapé.
 
BON ANNIVERSAIRE
 
— Tu veux essayer, Jeannot ?
— C’est quoi ?
Matthieu tient dans la main une gélule noire étincelante.
— De la “Fleur noire”, tout ce qu’il y a de naturel.
— Ah ? Les gélules ça pousse aussi ?
Matthieu rentre légèrement la tête dans les épaules, les yeux mi-clos.
— Te fous pas d’ma gueule... c’est juste l’enveloppe pour la poudreuse.
Jeannot lui rend un sourire amoureux. Matthieu est si gentil avec lui, même s’il est plus âgé que lui d’une cinquantaine d’années, il le trouve tellement attirant.
— C’est sans danger ?
— Tu crois que je te mettrais en danger mon jeune amour ?
Jeannot secoue la tête.
— Naaaan, sourit-il.
Il prend avec précaution le petit objet oblong et le pose dans sa paume. Il le regarde comme on regarde un talisman.
Matthieu rapproche ses lèvres de celles de son jeune amant, et l’embrasse affectueusement.
— Allez... cul sec !
Joignant l’acte à la parole, tous les deux mettent leur gélule dans la bouche et vide d’un coup leur verre de vodka.
Matthieu, qui est assis sur le canapé chesterfield, se laisse aller comme dans un transat. Posant une main amicale et tendre sur l’épaule de Jeannot, celui-ci, s’étend à côté de lui et s’abandonne, la tête sur ses cuisses.
Évidemment, cette situation a pour effet d’exciter les désirs des deux partenaires.
Jeannot rompt le silence heureux qui s’était installé.
— Tu as envie de moi, Matthieu ?
Il baisse la tête, lui sourit.
— J’ai toujours envie de toi, mon tout beau. Mais pour le moment, goûtons cette montée spatio-temporelle, si tu veux bien, avec tranquillité et douceur.
— Je veux tout ce que tu veux, Matthieu. Je t’appartiens, mais j’aime tellement que tu me surprennes.
Matthieu lui caresse les joues, puis lui écarte les lèvres de ses doigts afin d’y introduire le majeur qu’il fait aller et venir.
Jeannot se laisse faire, comme toujours. Il a une confiance totale en lui.
— Tu vois, aujourd’hui nous fêtons un triple anniversaire.
Jeannot lève le regard vers son amour.
— Pourquoi triple ? Si toi se sont tes quatre-vingts ans que tu fêtes et moi mes trente... qui est le troisième ?
— Notre amour, Jeannot... notre amour. Tu ne te souviens pas de ce jour-là, place de la Contrescarpe ?
Jeannot ferme les yeux. Il se revoit alors comme il était ce jour-là, il y a trois ans.
Il fait un soleil radieux, il n’y a presque personne place de la Contrescarpe. Le confinement pour cause de pandémie mondiale a fait se vider les rues et places de la grande ville.
Jeannot est en train de lire “Si le grain ne meurt” d’André Gide, édité par une petite maison d’édition.
Un homme se rapproche de lui, il est habillé sportswear, la peau cuivrée, le crâne totalement lisse. Ses lunettes aviateur lui donnent un air de star hollywoodienne. Il arbore un sourire irradiant.
— Bonjour jeune homme, c’est une belle journée pour apprécier ici le temps qui passe... vous lisez quoi ?
Jeannot qui, presqu’hypnotisé par le regard invisible de cet homme, bégaye.
— An... Andr... André... Gi...
— André Gide ! coupe son interlocuteur, d’un sourire amusé et amical.
Il relève l’ouvrage pour en lire le titre.
— Ah ! Merveilleux... je me souviens particulièrement de sa narration de ses amours marocains dans les dunes chaudes.
Il s’assied sur le banc, et passant sa main derrière les épaules de Jeannot, il le regarde intensément, silencieusement, il tente d’attraper l’un de ses tétons.
Jeannot a le cœur qui bat la chamade, la douceur de cet homme le subjugue, cette tendresse qu’il montre de manière certes osée, mais nullement violente et certainement pas à son corps défendant.
Il pose le livre à côté de lui, sur le banc, et se laisse aller à mettre sa tête sur ses genoux. Il respire fort, mais il sent qu’il ne peut échapper à cet attrait presque surnaturel.
Il ferme les yeux.
Quand il les rouvre, il sent les mains de Matthieu lui tenir la tête de chaque oreille. Il a la queue de son amant dans la bouche... comme ce jour-là.
Sur le banc.
Matthieu éjacule dans la gorge de son jeune bien-aimé.
— Bon anniversaire Jeannot.
 
Épinac, le 21 août 2023