Poétesse “saphique” à la douceur incomparable, Renée Vivien a vécu son lesbianisme dans une société profondément homophobe. Mais sa position sociale lui permit tout de même de vivre, tant bien que mal, son genre et ses passions. Elle fut l’amie de Pierre Louÿs, grande figure de la littérature érotique de la fin du xixème siècle. Voici ici, l’un de ses recueils, édité à l’origine, en 1902.

EXTRAIT

“DÉSIR

Elle est lasse, après tant d’épuisantes luxures.
Le parfum émané de ses membres meurtris
Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.
La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.

Et la fièvre des nuits avidement rêvées
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.
Ses attitudes ont des langueurs énervées.
Mais voici que l’Amante aux cruels ongles longs

Soudain la ressaisit, et l’étreint, et l’embrasse
D’une ardeur si sauvage et si douce à la fois,
Que le beau corps brisé s’offre, en demandant grâce,
Dans un râle d’amour, de désirs et d’effrois.”

ISBN 9782851220400

Gazette n°538
lundi 4 septembre 2023
inspirée par
“Cendres et Poussières”
de Renée Vivien
 
Elles retombent aussi sur l’âme.
 
LE BOUT DE PAPIER
 
C’est un petit chalet sur le flanc d’une montagne des Alpes. Ce chalet ne paye pas de mine, ce n’est pas celui d’un richissime bourgeois, mais celui d’une chevrière, Patricia.
Patricia aime ce calme, cette nature qui l’entoure, le temps qui s’écoule avec une douceur infinie.
Un jour, en fin de journée, alors qu’elle prenait le frais sur le perron de sa bicoque, assise dans son rocking-chair, un verre de vin rouge à la main. Elle regardait un pinson qui construisait déjà, dans l’arbre en face, son petit chez-lui ; lorsqu’il arriva, exténué, le visage rougit par l’effort.
L’homme, d’une trentaine d’années, la regarda avec appréhension. Elle lui sourit. Ils se rassurèrent.
— Bonjour jeune homme, dit-elle en se levant pour accueillir l’arrivant.
— Bonjour madame, pouvez-vous me laisser dormir chez vous, même sur une paillasse ?... demanda-t-il en un souffle.
Il parlait un français parfait, ce qui évidemment facilitait leur rencontre.
Elle s’approcha de lui, et très délicatement, elle l’aida à retirer son sac à dos pesant.
— Bien-sûr... je me nomme Patricia, et vous ?
— Mehdi, je suis réfugié syrien.
Elle lui sourit avec une infinie tendresse, d’humain à humain.
— Bienvenue, Mehdi. Vous pouvez vous reposez ici, la flicaille n’aime pas la marche à pied en montagne, et les hauts mélèzes sont une couverture suffisante.
À son regard éperdu de reconnaissance, elle sentit la bénédiction de cet instant.
— Mehdi, depuis combien de temps n’avez-vous pas mangé ?
— Bien longtemps, Patricia... mais vous voudrez bien pardonner ma question, pourquoi me vouvoyiez-vous ?
Elle sourit aimablement.
— Par respect, mais je peux tutoyer, si vous préférez ?
Il lui rendit son sourire.
— Non, non, au contraire, mais pas pour le respect... disons que j’en avais perdu l’habitude depuis l’université.
Soulevant les paupières d’étonnement.
— Élève ou professeur ?
— Je professais le français à l’Université d’Alep, répondit-il en s’asseyant sur le banc, juste à côté du rocking-chair.
— Je comprends mieux votre excellente maîtrise, dit-elle en allant à la cuisine, je vous sers un verre de vin ou de jus de fruit ?
— Après un grand verre d’eau, un bon verre de vin ne le sera pas.
— Ne sera pas... ?
— ...En vain, rit-il pour la première fois.
Ils commencèrent alors une longue nuit de discussion, de découverte de l’un et de l’autre, jusqu’à...
C’était le petit matin, un petit matin de fin d’été. Patricia ouvrait un œil et elle allongeait le bras pour caresser la poitrine velue et si douce de son amant.
Elle ne rencontra que le vide des draps encore chaud de ce corps qu’elle avait aimé, auquel elle s’était donnée avec passion.
Sa main tapota le lit, comme pour se rendre à l’évidence : il était absent.
Elle s’assit dans le lit... vide.
— Mehdi ? appela-t-elle.
Elle répéta avec angoisse plusieurs fois ce beau prénom. Mais il n’y eut aucune réponse.
Elle se leva, alla à la cuisine et vit un petit bout de papier sur le plan de travail. Il n’y avait d’inscrit qu’un seul mot :
“Merci”.
 
Épinac, le 4 septembre 2023