Dix-huit auteurs dans leurs œuvres ailurophile, poétiques ou ténébreuses, charmantes ou inquiétantes, drôles ou tristes... voici un recueil de nouvelles dont le chat... les chats, sont les personnages centraux.

EXTRAIT

“[...] Une nuit, comme je rentrais au logis très ivre, au sortir d’un de mes repaires habituels des faubourgs, je m’imaginai que le chat évitait ma présence. Je le saisis ; mais lui, effrayé de ma violence, il me fit à la main une légère blessure avec les dents. Une fureur de démon s’empara soudainement de moi. Je ne me connus plus, mon âme originelle sembla tout d’un coup s’envoler de mon corps, et une méchanceté hyperdiabolique, saturée de gin, pénétra chaque fibre de mon être. Je tirai de la poche de mon gilet un canif, je l’ouvris ; je saisis la pauvre bête par la gorge, et, délibérément, je fis sauter un de ses yeux de son orbite ! Je rougis, je brûle, je frissonne en écrivant cette damnable atrocité !
Quand la raison me revint avec le matin — quand j’eus cuvé les vapeurs de ma débauche nocturne — j’éprouvai un sentiment moitié d’horreur, moitié de remords, pour le crime dont je m’étais rendu coupable ; mais c’était tout au plus un faible et équivoque sentiment, et l’âme n’en subit pas les atteintes. Je me replongeai dans les excès, et bientôt je noyai dans le vin tout le souvenir de mon action. [...]”
extrait de “Le chat noir” d’Edgar Allan-Poe

ISBN 9782851221018

Gazette n°540
vendredi 8 septembre 2023
inspirée par
“Chats d'auteurs”
Collectif “Chat m’intéresse”
 
Il y a aussi des félins désagréables...
 
LA DISPARITION
D'IGOR ABRAHAMOVITCH PÉTROVSKY
 
“Quand je repense à cette journée, je me demande comment j’ai fait pour en arriver là...” pense Andreï, assis à son bureau, comme tous les matins.
Il tourne la tête, le vague à l’âme, et regarde à travers les carreaux, la pluie fine et chaude de cet été.
— Andreï, tu es dans la lune ou quoi ? lui demande sa secrétaire.
Sacha Vladimirovna Ilioukhine est juste en face de lui, debout, le calepin ouvert en mains, prête à prendre note de ce courrier si urgent pour le FSB.
Il reprend ses esprits, secouant la tête et se tourne vers sa secrétaire.
— Excuse-moi, camarade, je repensais à l’autre jour.
Andreï n’a jamais pu s’habituer à ne plus dire “camarade” à tout bout de champ... le soviétisme est ancré au plus profond de lui.
— Andreï !... S’il te plaît, tu sais bien que ce mot n’est plus en usage, lui sourit gentiment Sacha.
Toujours un peu perdu dans ses pensées, il la regarde comme on regarderait au travers d’une vitre.
— Oui... oui...
Il resecoue la tête.
— La lettre ! demande-t-elle.
— Quelle lettre ?... Ah oui... le FSB.

***

— ...c’est pour cela, camara... inspecteur, que je vous écris... etc.
— Avec la formule habituelle ?
— Oui, mais tu ajouteras dans le paquet une boîte de cigares cubains.
Sacha regarde son chef de service. Elle s’approche de lui. Pose une main sur sa nuque, très tendrement.
— Quand je pense au mot “cigare”, ça me fait des frissons partout.
Andreï, qui entretient avec elle une relation plus que professionnelle, a du mal à supporter cette attitude aguicheuse, et surtout depuis qu’IL est là.
C’est en effet à ce moment précis qu’un chat, passant par la chatière, saute sur le bureau, juste en face de lui, penchant la tête de côté, scrutant de ses yeux jaunes les prunelles d’Andreï.
— Fais attention, Sacha ! dit-il apeuré.
— Oh ! Encore cette sale bête, fait-elle fâchée.
Voulant chasser le félin de la main, le chat en profites d’un geste de la patte, rapide et précis, pour la griffer profondément.
— Je t’avais bien dit de faire attention, Sacha !
— Merde, merde, merde ! crie-t-elle en ressortant du bureau et se tenant la main saignante.
Andreï se penche vers le chat, doucement, comme s’il devait parler avec un tout petit.
— Franchement, Igor, tu crois que c’est raisonnable ? Ce n’est pas parce que tu es dans cet état qu’il faut te comporter comme ça.
Le chat plisse les yeux.
— Tu m’emmerdes avec cette pétasse ! Pourquoi tu ne la jettes pas par la fenêtre ? répond le chat sur un ton maussade et désagréable.
Andreï n’est pas le moins du monde effaré. C’est comme s’il connaissait le don de la parole du greffier.
— Je sais, mais je préfère celle-là à un sextoy, ou une pute.
— C’est une pute !
— Tu commences à m’énerver, Igor !
— Je sais... dit-il, sur un air vraiment méchant, je te dois bien ça !
— Qu’y puis-je, si l’expérience ne s’est pas déroulée comme ça aurait dû.
D’un coup de patte éclair, le chat lui fait trois saignées sur la joue.
— Connard !
Igor, d’un saut millimétré, se pose sur le rebord de la fenêtre.
— Essaye de m’attraper, sous-merde !
Andreï, hors de lui, se jette sur lui, et l’attrapant de ses deux mains, il ne peut s’arrêter... il tombe dans le vide pour s’écraser quarante-trois étages plus bas, sur la Mercedes noire, siglée... FSB.

***

— Je vous l’avais bien dit, inspecteur Dmitri. Cet Andreï Simonov Pokrovski cachait bien son activité diabolique.
L’inspecteur, tenant quelques feuilles froissées dans sa main, tourne la tête vers son collègue...
— Cette histoire de transmutation, c’est n’importe quoi ! Il a beau eut m’envoyer lettres sur lettres, toute plus folles les unes que les autres...
— Et aussi quelques boîtes de cigares cubains, précise perfidement l’autre.
Les yeux mi-clos, le regard perçant.
— Au lieu de dire des conneries, où en est l’enquête sur la disparition d’Igor Abrahamovitch Petrovsky ?
 
Épinac, le 8 septembre 2023