L’humanité exige l’abolition de la prison, châtiment barbare et stupidement manichéen. Vidocq, ancien bagnard, puis chef de la Brigade de sûreté de la Préfecture de Police de Paris écrit ici une page en l’honneur de la justice et non de la vengeance.

EXTRAIT

“[...] je ne vois pas pourquoi celui qui, selon moi, n’est autre chose, je le répète, qu’un malheureux auquel il manque quelques organes moraux, serait plus abandonné que tous les autres malades ; je ne vois pas, dis-je, pourquoi l’on ne chercherait pas à le guérir aussi, c’est-à-dire à lui rendre, si je puis m’exprimer ainsi, la santé morale qu’il a perdue ; à le remettre, en un mot, sur la route qu’il n’aurait jamais dû quitter, celle de la droiture et de l’honneur .
Mais pour tenter les cures que je propose, il faudrait que les prisons et les bagnes, s’ils étaient conservés, fussent des lieux de correction plutôt que de châtiment ; il faudrait que le repentir pût y naître plus facilement que la douleur, et que l’on ne dédaignât pas l’emploi du moindre des remèdes propres à inspirer l’amour de la vertu et le goût des devoirs sociaux ; il faudrait aussi que les directeurs et concierges de prisons, commissaires de bagnes, reçussent de l’autorité supérieure la mission de diriger le moral des prisonniers.”

ISBN 9782851220356

Gazette n°549
vendredi 29 septembre 2023
inspirée par
“Considérations sommaires sur la prison”
d’Eugène-François Vidocq
 
L’évasion est un droit inaliénable.
 
LE DERNIER BLOC
 
L’Empire de Napoléon Ier s’est effondré déjà depuis quelques années... la France est en proie à la terreur blanche des extrémistes royalistes.
Une prison dans cette France du début du XIXe.
— Daudias ! Tu as des nouvelles du numéro 27 ?
— Le vieux fou ?... Non.
— Il faudra y voir tout à l’heure.
— Bien, bien, Philbert, j’irais y jeter un œil.

***

“Mon dieu, si j’ai bien calculé... je ne dois plus être loin”, pense le N°27.
Stoppant sa reptation dans le tunnel qu’il creuse dans le mur de la forteresse depuis tant d’années, le prisonnier, tenant dans sa main tremblante un chiffon de papier où il a pu y inscrire ses calculs savants, se repose quelques instants.
“Ça devrait être derrière ce dernier bloc si mes calculs sont exacts.”
Il prend son outil et commence son travail exténuant.

***

Quelques mois plus tard.
“Cette fois, j’y suis presque, demain je pourrais desceller ce bloc.” pense-t-il avec une joie infinie, “bientôt l’air libre et la liberté !”

***

— Hola N°27 !... Tu es bien sale.
Avec un sourire narquois, il répond au geôlier, d’un air caustique.
— Mon bain est prêt ?
Daudias, qui goûte assez peu la plaisanterie, pose sans délicatesse l’auge d’eau chaude où surnagent quelques morceaux de poireaux et de carottes.
— Tu y finiras bien... dans le bain !
Évidemment, la répartie fait son effet. Car ici on n’enterre pas... on jette à la mer. Cette mer omniprésente et pourtant invisible aux yeux des enfermés. Le sac et le ressac qui rythment inexorablement leurs instants leur rappellent toujours cette fin ; oubliés qu’ils sont dans ce tombeau pénitentiaire.
Le maton fait demi-tour, content de sa méchante saillie.

***

“Ça y est !” exulte N°27 en s’apercevant que l’énorme pierre bouge enfin. “Presque une année pour y arriver.”
Il s’essuie le front avec un vieux mouchoir déchiré de toute part.
Mais soudainement, alors qu’il remet le morceau de tissu dans sa poche, il voit, à la lueur de sa bougie, le bloc se retirer tout seul devant lui.
“Quel est ce prodige ?” se dit-il.
Il est effaré. Il s’apprête à faire demi-tour pour revenir dans sa cellule, quand il voit le bloc tomber et laisser apparaître un visage à la longue barbe, des yeux écarquillés, autant que les siens.
Médusé devant cet autre lui-même, avec les mêmes guenilles sales et malodorantes, il reste silencieux ; ne pouvant rien dire.
Celui qui est devant lui est dans le même état de stupéfaction. Mais il ose alors rompre cette pause.
— Qui es-tu ?
Sur le visage de son compagnon d’infortune, hirsute, se dessine un sourire, le même sourire qu’aurait pu faire Moïse devant le buisson ardent. Et dans un éclat de joie...
— Je m’appelle... Edmond Dantès !
 
Épinac, le 29 septembre 2023