Gazette n°549
vendredi 29 septembre 2023
inspirée par
“Considérations sommaires sur la prison”
d’Eugène-François Vidocq
L’évasion est un droit inaliénable.
LE DERNIER BLOC
L’Empire de Napoléon Ier s’est effondré déjà depuis quelques années... la France est en proie à la terreur blanche des extrémistes royalistes.
Une prison dans cette France du début du XIXe.
— Daudias ! Tu as des nouvelles du numéro 27 ?
— Le vieux fou ?... Non.
— Il faudra y voir tout à l’heure.
— Bien, bien, Philbert, j’irais y jeter un œil.
***
“Mon dieu, si j’ai bien calculé... je ne dois plus être loin”, pense le N°27.
Stoppant sa reptation dans le tunnel qu’il creuse dans le mur de la forteresse depuis tant d’années, le prisonnier, tenant dans sa main tremblante un chiffon de papier où il a pu y inscrire ses calculs savants, se repose quelques instants.
“Ça devrait être derrière ce dernier bloc si mes calculs sont exacts.”
Il prend son outil et commence son travail exténuant.
***
Quelques mois plus tard.
“Cette fois, j’y suis presque, demain je pourrais desceller ce bloc.” pense-t-il avec une joie infinie, “bientôt l’air libre et la liberté !”
***
— Hola N°27 !... Tu es bien sale.
Avec un sourire narquois, il répond au geôlier, d’un air caustique.
— Mon bain est prêt ?
Daudias, qui goûte assez peu la plaisanterie, pose sans délicatesse l’auge d’eau chaude où surnagent quelques morceaux de poireaux et de carottes.
— Tu y finiras bien... dans le bain !
Évidemment, la répartie fait son effet. Car ici on n’enterre pas... on jette à la mer. Cette mer omniprésente et pourtant invisible aux yeux des enfermés. Le sac et le ressac qui rythment inexorablement leurs instants leur rappellent toujours cette fin ; oubliés qu’ils sont dans ce tombeau pénitentiaire.
Le maton fait demi-tour, content de sa méchante saillie.
***
“Ça y est !” exulte N°27 en s’apercevant que l’énorme pierre bouge enfin. “Presque une année pour y arriver.”
Il s’essuie le front avec un vieux mouchoir déchiré de toute part.
Mais soudainement, alors qu’il remet le morceau de tissu dans sa poche, il voit, à la lueur de sa bougie, le bloc se retirer tout seul devant lui.
“Quel est ce prodige ?” se dit-il.
Il est effaré. Il s’apprête à faire demi-tour pour revenir dans sa cellule, quand il voit le bloc tomber et laisser apparaître un visage à la longue barbe, des yeux écarquillés, autant que les siens.
Médusé devant cet autre lui-même, avec les mêmes guenilles sales et malodorantes, il reste silencieux ; ne pouvant rien dire.
Celui qui est devant lui est dans le même état de stupéfaction. Mais il ose alors rompre cette pause.
— Qui es-tu ?
Sur le visage de son compagnon d’infortune, hirsute, se dessine un sourire, le même sourire qu’aurait pu faire Moïse devant le buisson ardent. Et dans un éclat de joie...
— Je m’appelle... Edmond Dantès !
Épinac, le 29 septembre 2023