Louise Michel est plus connue pour sa participation à La Commune de Paris ; mais moins pour ces contes-ci. Histoires humaines et tendres dans une France ouvrière et paysanne, qui s’ouvrent sur un poème :

EXTRAIT



“Le vent d’hiver souffle dans l’ombre,
La neige couvre les chemins ;
Enfants, venez, la nuit est sombre,
Au foyer réchauffez vos mains.
Et pendant que vous êtes sages
Prenez ce livre et ces images,
Ce sont des souvenirs lointains.

Ceux dont on parle ont eu votre âge,
Mais le temps va rapidement :
Comme le flot qui bat la plage,
Les jours ainsi s’en vont montant.
Nous parlerons des moeurs antiques,
Des pays lointains ou rustiques,
Ou de ce qu’on voit en rêvant.

Écoutant le conte et l’histoire,
Vous verrez la joie et les pleurs,
Et le peu que pèse la gloire,
Et ce que valent les grandeurs.
Heureux, si, fixant vos pensées
Sur toutes ces choses passées,
Vous devenez un peu meilleurs !”

ISBN 9791094773178

Gazette n°551
mercredi 4 octobre 2023
inspirée par
“Contes et légendes”
de Louise Michel
 
Quand les légendes s’immiscent en vrai.
 
BISON-SAGE
 
— Maman, j’ai peur !
— Mais non mon grand, le Windago[1] ne viendra pas cette nuit.
Lumière-du-matin est un petit enfant du peuple des Navajos, et sa mère, Nuage-bleu, l’élève seule depuis la disparition de son époux le jour même de la naissance de ce fils.
— Tu en es sûre ?
— Oui, ne t’inquiète pas. Je vais rester là. Dors, je veillerai.
L’enfant sourit, un peu rassuré, il ferme les yeux, et finit par s’endormir.
Il fait froid cet hiver-là, mais les peaux de bison offrent chaleur et réconfort.
Pourtant, alors que Nuage-bleu se bat contre l’envie de s’assoupir, un bruit la secoue.
Un craquement sourd de branche sur le sol gelé.
N’importe qui aurait pensé à un animal passant par là à la recherche de nourriture. Mais son oreille affutée lui a dit que ce pas est plus lourd qu’un chien ou même un loup. “C’est un pied humain” se dit-elle.
Elle tire de sous son tote-bag un long couteau effilé. Elle tend l’oreille dans un silence total, maîtrisant sa respiration. Stoïque comme le rocher, yeux grands ouverts à la manière du hibou. Elle est en attente.
Soudainement, elle pense à son enfant, “je dois sortir pour écarter la menace de lui.”
Très précautionneusement, elle écarte les pans du tepee.
À une vingtaine de mètres à peine, éclairée par les rayons du petit croissant de Lune ; une silhouette se détache de la pénombre. Une forme mince, haute d’un peu moins de deux mètres, se tenant sur ses deux pieds, semble à l’affût parmi le village de peaux.
“Que cherche-t-il ?” se demande-t-elle.
Comme une louve, elle se glisse alors dehors, à quatre pattes dans la neige.
Elle est en chasse.
Plus elle se rapproche de cet être, plus celui-ci ressemble à ce que pouvait être un être humain. Elle distingue sa peau desséchée, étirée sur ses os.
Lui ne l’entend pas. Elle se meut silencieusement. Il ne la sent pas. Elle s’est mise contre le vent.
Une odeur de putréfaction arrive à ses narines, mais elle n’y prête pas plus d’attention.
Elle se rapproche de plus en plus. Dans la nuit, dans son habit clair, elle se confond avec la neige. Elle serpente, glisse sur le sol. Elle relève la tête. Elle n’est plus qu’à quelques mètres.
Elle stoppe d’un coup sa reptation. Il a tourné la tête dans sa direction, mais il regarde au-delà d’elle, au-dessus d’elle.
“Ses yeux ! Grand manitou... ses yeux !” se met-elle à crier dans sa tête.
Il a des yeux repoussés au plus profond de leurs orbites et ses lèvres en lambeaux, sont souillées de sang.
Il tente d’ouvrir le tepee devant lui. Mais elle saute sur lui comme un lynx sur sa proie, et avant qu’il ne pousse aucun hurlement, elle lui tranche la gorge tellement profondément que sa tête manque à tomber.
C’est à ce moment-là qu’elle s’aperçoit que la créature n’est autre que...
Bison-sage, son époux disparu.
 
Épinac, le 4 octobre 2023

[1] Variante du nom “Wendigo” chez les peuples Athabascan. Créature surnaturelle, maléfique et anthropophage, issue des légendes amérindiennes.