Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ?... Quoique !

EXTRAIT

“« Pas d’acharnement », m’a dit une fois le déplaisant P. alors que nous parlions du projet de loi sur la fin de vie en débat à l’Assemblée Nationale. Aussi, quand il se cogne à une branche basse alors que nous nous promenons après le déjeuner, l’envie me prend de l’achever.
...et si la fille du déplaisant P. s’engageait dans des études de langues uniquement pour partir un an à l’étranger, loin de son père, en profitant du programme Erasmus ?

« On s’habitue à tout », me dit la nouvelle femme du déplaisant P. dont la maison jouxte l’aérodrome. Je comprends mieux.

Le déplaisant P. aurait bien présenté une liste aux élections municipales, mais personne n’a voulu le suivre. Il peste contre leur refus de s’engager.”

ISBN 9782851220691

Imaginaire n°614
mercredi 28 février 2024
inspirée par
“Promenades avec le déplaisant P”
d’Olivier Hervy
 
Il y a de déplaisants P. dans l’histoire, certains ont laissés de tristes traces dans notre mémoire.
 
LA LECTURE
 
J’ai revu Céline pour la dernière fois, juste avant sa mort. C’était fin juin 1961. Le jeudi 29 très exactement. Il est venu chez moi, j’avais quelque chose à lui montrer qui le rendait très curieux. Les carnets personnels de Philippe Pétain, le traitre.
Je lui citai d’abord un passage de son dernier livre paru, “D’un château l’autre” :
“...Nous en étions à la promenade... enfin, au départ... le Maréchal au pont-levis... Hermilie de Hohenzollern redisparue dans les sous-sols avec sa dame de compagnie... Pétain, Debeney, avancent bon pas, longent le Danube, la berge... la promenade rituelle... tout seuls en avant, et les ministres loin derrière...”
Il est parti d’un grand rire saccadé, du genre méphitique. Céline il était comme ça, ce mélange de gaieté simple et de méchanceté presque incarnée.
— Pétain ! Le vieux “j’incarne” !... Alors tu me le montres ce sacré... grimoire du viocque ?
J’ouvrai le tiroir du bureau, et je sortis le fameux carnet, enfin, celui que je tenais à lui présenter, qui est en rapport, évidemment, avec le passage que je venais de lui rappeler de son œuvre.
— Tiens.
J’avais ouvert à la page exacte que je voulais lui faire lire. Mais ce grand curieux a voulu le lire depuis le début.
Il s’est affalé dans un fauteuil derrière lui et avant de commencer sa lecture, mettant ses lunettes sur son nez.
— Tu me sers un whisky, gamin ?
Il m’a dit ça avec son sourire carnassier. J’aime pas trop qu’il m’appelle comme ça... “Gamin” ! Tu parles !... j’ai quand même participé au maquis du Vercors, et j’ai réussi à réchapper à la grande purge de juillet 44. Bon, c’est vrai que j’ai pas fait 14-18. J’ai préféré lui faire mon sourire bonhomme et j’ai été lui servir son whisky.
— Toujours sans glace, Louis ?
— Pourquoi, on peut le boire autrement ?
Il me sourit de nouveau et se plongea dans la lecture du vieil indigne.
De temps en temps, je le voyais cligner d’un œil, et à d’autres les écarquiller.
Il se faisait tard, aussi je lui ai proposé de rester.
— Tu bigophes à Lucette, tu me prépares la graille, j’aurai fini avant.
— Ok chef, je lui fais en rigolant.
Il me regarda en coin en se demandant si c’était du lard ou du cochon, et se replongea dans sa lecture.
Pendant ce temps, je lui préparais l’un de ses plats préférés, une ratatouille. Ça lui correspondait bien ce plat-là. Plein de trucs différents dans un ensemble si possible cohérent. Ça m’a fait sourire cette pensée, alors que je me versais un bon verre de Syrah 53 qui me restait.
— Henri ! m’appela-t-il
Je baissais le feu sous la tambouille et j’allais le voir.
— Qu’y a-t-il, Louis ?
— Je viens de le lire le truc où machin fait allusion à ma présence là-bas, à Vichy-sur-Danube.
— Alors ?
— Aucun intérêt !
Du Céline comme jamais.
— Et l’ensemble ?
— Je sais pas trop, faudrait que je relise la chose à tête reposée. Tu me le passerais ?
J’ai hésité un moment. J’aurais dû dire non, mais je pouvais vraiment rien refuser à ce vieux grigou qui m’avait soigné gratos en 1941. Le carnet du renégat a brûlé avec le reste des papiers de Louis Ferdinand Céline le 16 mai 1968 au 25 ter route des Gardes, à Meudon.
Tant pis. Et puis de toute façon, qui pourrait en fait s’intéresser aux promenades de ce déplaisant... P ?