De façon à la fois sarcastique et pragmatique, c'est-à-dire ne prenant en compte que les résultats, Schopenhauer y expose une série de stratagèmes permettant de l'emporter lors de controverses, indépendamment de la vérité du point de vue que l'on soutient.

EXTRAIT

“[...] D’où vient ce comportement ? De la base même de la nature humaine. Sans celle-ci, l’homme serait foncièrement honorable et ne débattrait sans autre but que la recherche de la vérité, et nous serions indifférents, ou du moins n’accorderions qu’une importance secondaire quant au fait que cette vérité desserve les opinions par lesquelles nous avions commencé à discourir ou serve l’opinion de l’adversaire. Cependant, c’est ce dernier point qui nous est primordial. La vanité innée, particulièrement sensible à la puissance de l’intellect, ne souffre pas que notre position soit fausse et celle de l’adversaire correcte. Pour s’extraire de ce comportement, il suffit de formuler un jugement correct : cela revient à dire qu’il faut réfléchir avant de parler. Mais la vanité innée est souvent accompagnée par la loquacité et une mauvaise foi innée. Ils parlent avant de réfléchir, et même lorsqu’ils se rendent compte plus tard que leur position est fausse, ils essaieront de faire en sorte de paraître que ce n’est pas le cas. L’intérêt dans la vérité qu’on aurait pu croire leur seul motif lorsqu’ils déclarèrent leur proposition vraie, doit céder le pas à l’intérêt de la vanité : la vérité est fausse et ce qui est faux paraît vrai.”

ISBN 9782851221285

Imaginaire n°591
lundi 8 janvier 2024
inspirée par
“L’art d'avoir toujours raison”
d’Arthur Schopenhauer
 
A-t-on toujours raison face à soi-même ?
 
LE REFLET
 
Alessandro Petacci s’était levé, et il s’apprêtait à se laver les dents, alors que le café coulait mollement, goutte à goutte dans la cafetière.
En face de son miroir dans la salle d’eau, lorsque son reflet se mit à être... indépendant !
— Bonjour Monsieur Petacci.
Il avait la brosse à dents entre une molaire et une incisive, et la mousse du dentifrice au bord des lèvres. Il restait, là, face à la chose devant lui, il restait pétrifié dans ce mouvement habituel matutinal.
Alessandro regardait son “reflet”... incrédule.
— Comment allez-vous alors, suite à l’édition de votre dernier ouvrage qui a fait le flop tant convoité ?
Il n’eut toujours aucune réaction. Dans la position “pause” du mec qui se brosse les dents.
Et puis, ne sachant trop pourquoi, mais il a finalement répondu à ce putain de reflet qui faut bien le dire, commençait à les lui briser... menus ! Il décida de faire le mec qui s’en branle, et que ça en touche une sans déranger l’autre.
— Oh, vous savez, un livre, il faut le temps pour qu’il prenne. Le lectorat est versatile.
— Oui, évidemment... répondit le reflet avec un air hypocrite prononcé.
Il avait pensé réussir à désarçonner ce con, visiblement celui-ci cherchait à se rattraper à la dernière branche.
— ...Dites, vous avez d’autres projets d’écriture en cours ?
“J’te l’ai bien mis profond” pensa-t-il en lui-même... face à... lui-même. Alessandro continuait sur le même ton dégagé, presque insouciant.
— Oui, huit livres, dont trois pas encore commencés.
— Houlaaaa, mais dites-moi, vous êtes très “productif”.
— Bah, faut bien passer le temps...
“Merde !” se dit-il ; il s’était découvert, et venait de lui tendre la cravache pour se faire fouetter.
— Comment ça ? Voulez-vous dire, qu’à force d’attendre des autres qu’ils réagissent, vous vous faites chier comme un rat mort dans un bocal à cornichons ?
“Tiens ? se dit-il à lui-même-tout seul ; il utilise l’une de mes expressions favorites.” Mais il répliqua.
— Boooaaa, les gens font ce qu’ils croient devoir faire. C’est leur problème. Moi, au final, j’aime écrire, alors j’écris. Et puis au moins quand j’s’rais crevé, il restera quelque chose de moi. Mais ça me gêne pas.
— Vraiment ?
— Ouaih, je m’en bats les couilles avec une raquette en barbelés !
Le reflet parut agacé de cette citation... une phrase qu’Alessandro avait reprise d’un vieux pote à lui. En fait son reflet avait la même expression que lui tout à l’heure, quand il avait sorti “le rat mort...” Son reflet connaissait-il aussi cette citation ?
— C’est assez piquant comme réplique, Monsieur Petacci. Vous ne pensez pas que nos lectrices et lecteurs vont être dégoutés et même déçus de ce langage vulgaire ?
— Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. C’est même leur droit le plus strict de ne pas aimer ce que j’écris ou dis, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse.
Soudainement, Alessandro s’est demandé pour quel média travaillait son reflet.
— Au fait, pour quel journal écrivez-vous cher reflet ?
— Ce n’est pas pour un journal, mais pour faire du remplissage dans “Les imaginaires”.
C’est à ce moment qu’Alessandro s’est réveillé. Il était à son bureau, alors que l’imprimante ronronnait encore. Il était en train d’imprimer les feuilles de “L’art d’avoir toujours raison”.
Il était très perturbé. Il s’est levé et est monté dans sa chambre. Il s’est précipité devant le miroir.
Il a bien regardé partout, mais il n’y avait que son... reflet, bêtement silencieux.
Il a fait demi-tour.
— Et puis, de quoi j’me mêle ?