Élisée Reclus livre ici un ouvrage essentiel sur la théorie anarchiste. Mouvement politique né à la fin du xixème, sur les barricades de La Commune de Paris, l’anarchie n’est pas l’absence d’ordre, c’est l’absence de contraintes par le respect commun des uns envers les autres.

EXTRAIT

“Mais si l’anarchie est aussi ancienne que l’humanité, du moins ceux qui la représentent apportent-ils quelque chose de nouveau dans le monde. Ils ont la conscience précise du but poursuivi et, d’une extrémité de la Terre à l’autre, s’accordent dans leur idéal pour repousser toute forme de gouvernement. Le rêve de liberté mondiale [...] d’une société dans laquelle il n’y aurait plus de maîtres, plus de conservateurs officiels de la morale publique, plus de geôliers ni de bourreaux, plus de riches ni de pauvres, mais des frères ayant tous leur part quotidienne de pain, des égaux en droit, et se maintenant en paix et en cordiale union, non par l’obéissance à des lois, qu’accompagnent toujours des menaces redoutables, mais par le respect mutuel des intérêts et l’observation scientifique des lois naturelles.”

ISBN 9791094773789

Imaginaire n°591
vendredi 5 janvier 2024
inspirée par
“L’Anarchie”
d'Élisée Reclus
 
Comme l’écrivait Gao Xingjian : “La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité”.
 
CE QU'IL CONVIENT DE FAIRE
 
Sergueï Vsevolod, poète naturaliste et libraire dans une petite ville à l’ouest de Voronej, sort de l’épicerie accompagné par sa cousine Tsvetana.
C’est le printemps dans la plaine du Don, il fait très bon et les fenêtres de la Moskvitch que conduit Sergueï sont toutes ouvertes.
La bagnole jaune fonce en pétaradant.
— Tu ne crois pas qu’il te faudrait un nouveau modèle, cousin ?
— Pardon ?
Le bruit infernal de l’engin crépitant est si intense que Sergueï n’a rien entendu. Tsvetana presque en criant, répète.
— Tu ne devrais pas changer de voiture ?
— Ah non, cousine, je l’aime trop ce vestige stalinien.
— Ne me dis pas que c’est à cause du Vojd[1] ?
— Aucune chance, le tyran sanguinaire... mais disons plutôt une nostalgie contradictoire.
Tsvetana commence à rire.
— C’est drôle comme quelquefois tu me fais penser au camarade Khrouchtchev.
— Ce con !... T’exagères Tana. Et pourquoi ?
— En 17, à Saint Pétersbourg, je t’ai connu moins dur avec le tyran.
— En 17, j’avais à peine vingt ans, et je n’ai rencontré Kropotkine que trois ans après, à Dmitrov, près de Moscou. En effet, j’ai failli être subjugué par ce type. Son côté fils de prolo sans doute. Mais j’ai pas fait comme ton premier secrétaire ; j’ai pas organisé les purges en Ukraine.
Tsvetana est pensive.
— Où est-ce que tu as entendu ça ? Le camarade a quand même dénoncé les crimes de Staline.
— Y a pas que la Pravda à lire. Eh oui, Nikita a peut-être révélé les crimes du moustachu il y a à peine trois mois... mais rien sur ce que lui a fait au service de son Maître. Il n’y a rien à ce sujet dans le rapport sur le vingtième congrès.
— J’ai jamais rien compris à ta ferveur anarchiste, cousin. Pourtant, tu n’es pas adepte du bordel... enfin, sauf sur ton bureau.
Tsvetana, cette fois, part dans un grand rire. Sergueï ne lui en veut pas. C’est vrai qu’il n’a pas un art consommé du rangement. Mais confondre toujours l’anarchie et le bordel !
Ayant presque oublié les tentations du tacot à faire ce qu’il voulait, celui-ci se rappelle à eux.
— Meeeerde !
— Qu’est-ce qu’il se passe, Sergueï ?
— Cette sacré pédale de frein.
— Toujours aussi dure ?
— Oui... pire que ton camarade.
La cousine fait la moue.
— C’est pas drôle. Mais tu veux pas m’expliquer ce qu’il y a de si bien dans l’anarchie ?
Sergueï ne s’attendait pas à cette demande. Évitant un nid de poule sur la route, il reprend ses esprits.
— Tu sais ce que tu devrais faire pour ça ?
— Non, quoi ?
— Lire !

[1] Surnom de Staline, qui veut dire “guide” en russe.