Des tranches de vies coupées à l’humour pince sans rire de l’auteur, des tranches coupées au cynisme décapant, plus que de petites nouvelles, ce sont des tranches de vif.

EXTRAIT

“Naissance d’une amitié

Dracula cherchait désespérément du sang en ville ce soir-là.
Il avait alors suivi un étrange poète jusqu’à chez lui. C’était une victime facile.
Dracula l’avait pris par surprise, enfonçant ses dents, certes jaunies, mais encore bien acérées, dans son cou.
L’étrange poète, déjà mal en point, n’avait strictement rien senti. Il marmonnait tout seul, il attendait la fin dans l’alcool, au-delà de l’ivresse, ayant tiré un trait sur toute chose, sur la poésie, qu’il ne supportait plus, la sienne et celle des autres.
Dracula s’était d’abord trouvé mieux, revigoré par cet afflux de sang, avant de tituber puis de s’écrouler comme une merde un peu plus loin sur le trottoir, complètement bourré lui aussi, des incisives jusqu’à la moelle, la cape pleine de vomi.
Ayant entendu quelques vagues gémissements au dehors, l’étrange poète lui proposa gentiment l’hospitalité pour la nuit et se dit qu’il en ferait bien un ami de beuverie et de circonstances et, pourquoi pas, un ultime poème.”

ISBN 9782851220790

Imaginaire n°599
mercredi 24 janvier 2024
inspirée par
“L’improbable est guttural”
de Thierry Roquet
 
L’improbable est même quelquefois hautement improbable.
 
LA GROTTE

Enrique de Cordoba se faufilait dans la jungle. Il avait perdu l’équipage de sa caravelle, La Felicita, qui avait échouée sur les côtes de ce pays inconnu à ce jour, qui deviendra bien plus tard, Panama.
Seul, affamé après quinze jours de marche sans savoir quoi ou qu’est-ce. Heureusement l’eau ne manque pas, mais les poissons sont insaisissables et le gibier trop véloce pour Enrique de Cordoba.
Pour échapper aux fauves durant la nuit, il s’était installé sur une branche en hauteur. Il a mal dormi et il a mal au dos.
Il remarque une falaise devant lui. “Est-ce que je fais demi-tour”, pense-t-il. Ses mains griffées écartent de grosses feuilles... et la vision d’un trou dans la falaise lui donne un espoir. L’espoir de pouvoir se reposer à l’abri. “Pourvu qu’il n’y ait aucun ours dans ce pays maudit”, prie-t-il.
Il s’approche avec circonspection, le plus silencieusement possible.
Le nez en avant, il hume l’air, histoire de sentir une odeur animale. “Non... rien que de l’humidité”.
Rassuré, il entre à l’intérieur avec un rondin de bois trouvé à l’entrée. Il déchire une manche de sa chemise. Entoure un bout du morceau de bois avec le tissu. Sort son briquet.
La flamme vacillante éclaire la trouée dans la falaise. Le couloir semble sans fin. Il avance. Il essaye de toujours sentir la présence ou pas d’un animal. Mais rien. Uniquement le rebond du son de ses pas et de sa respiration, qui comme les cailloux que l’on lance sur l’eau, rebondissent sur la surface en déclinant à chaque saut.
Il sourit.
— Oh oh ! lance-t-il dans la nuit de cette caverne.
“OH OH... oh oh... oh oh... oh...” rebondit jusqu’à disparaître, inaudible.
— Enchanté de vous croiser ici !
“chanté de vous croiser ici !... té de vous croiser ici !... vous croiser ici !... ser ici !... ci !...”
“Si je continue, je vais finir par me faire la conversation”, se dit-il.
— Oui merci, c’est gentil, entend-il.
Une voix caverneuse vient de le pétrifier, il n’ose bouger un cil.
Il attend plusieurs minutes, immobile et silencieux, respirant à peine.
— Y a quelqu’un ici ? questionne-t-il.
“a quelqu’un ici ?... qu’un ici ?... ci ?”, ce n’est que le rebond de l’écho sur les parois rocheuses de cette grotte. Il écoute, attendant la réponse, toujours sans bouger durant de longues minutes dans la lueur de la torche.
“J’ai dû délirer” pense-t-il. Il reprend sa progression avec prudence.
— Dites, pour changer à Nation... quelle ligne ?
Enrique a failli tomber. “Je deviens fou !” Encore cette voix grave et caverneuse... gutturale.
— Quelle nation ? demande-t-il.
“Elle nation ?... nation... tion...”
— Mais qui est là ? Montrez-vous ! insiste-t-il.
“i est là ? Montrez-vous !... là ? Montrez-vous !... ontrez-vous !... ez-vous !... ous !”
Un vrombissement sourd, lointain, lui parvient aux oreilles. Un son qu’il n’arrive pas à expliquer, ce n’est pas celui d’un animal ni un tremblement de terre. Rien qu’il ne connaisse.
Soudainement, une sonnerie stridente.
Perdant la boussole, le capitaine Enrique de Cordoba est persuadé que c’est là une manifestation du diable. Laissant tomber la torche, il fait une croix avec ses deux index qu’il projette devant lui.
— Vade retro Satanas ! crie-t-il.
Le silence de nouveau est retombé. Enrique reste dans la position, sa croix de doigts en protection ultime.
Il s’aperçoit alors, bien des minutes plus tard, que sa torche va s’éteindre. “J’ai dû faire fuir Belzébuth”, se persuade-t-il. Il se baisse. Reprend sa torche et sa marche dans le ventre de la falaise.


Robert Lamorse, chef de l’expédition “Cordoba” au Panama, avance difficilement, suivi de la file de ses assistants et porteurs.
Soudainement.
— Regardez ! La falaise !... et la grotte !
— Celle dont parle la légende, Prof ?
— Oui mon p’tit... la légende fameuse de la grotte dans la falaise qui parle.
Il rentre.
Quelques dizaines de mètres plus loin, le faisceau de sa torche électrique éclaire un squelette avec à ses côtés un morceau de bois qui a dû servir de torche. Le professeur Lamorse s’approche, accompagné par son premier assistant, Kevin Poulard.
— Regardez, prof... il y a un morceau de papier ici.
Kevin se baisse. Il prend le petit bout rectangulaire et le montre à Robert Lamorse.
— Un ticket de métro ?