Imaginaire n°607
lundi 12 février 2024
inspirée par
“La philosophie dans le boudoir”
de Donatien Alphonse François de Sade
Faut-il toujours de la raison aux choses ?
PAS SI ROSE
Akihiko Kobayashi, auteur d’un ouvrage scandaleux sur les pratiques sexuelles de la classe politique japonaise est sur la sellette face à Hanayo Satō, une des plus célèbres journalistes d’investigation du Yomiuri Shimbun[1].
— Kobayashi sensei[2], votre dernier ouvrage paru, d’ailleurs sous pseudonyme, dont le titre sibyllin “Hanakotoba”[3] a fait scandale, mais outre cela, quelle est la raison profonde de cette publication ?
L’écrivain tire sur sa white spot d’un air amusé, les volutes de fumée qui en sortent lui donne un air de vieux sage narquois.
— Je sais que cet ouvrage a fait jaser, mais ce n’est qu’un roman vous savez.
— Vraiment ? On dirait pourtant que les personnages sont issus de la vraie vie, et pour être plus précise, de notre classe politique actuelle.
— Il ne faut pas forcément prendre tout au pied de la lettre, chère demoiselle. Vous êtes bien la fille du ministre de l’agriculture, Raytōku Mayishito ?
— Oui.
Le vieil auteur d’ouvrages écolo-botaniste se lève, il pose sa pipe sur son socle et actionne l’ouverture d’une porte secrète en abaissant lentement un faux livre. Hanayo ne peut s’empêcher d’exprimer sa surprise, bouche bée.
— Ça vous surprend ? fait-il l’œil en coin.
— Je ne m’attendais pas à...
— Ça ! montre-t-il en tendant la main vers l’intérieur de la pièce.
Tandis que la lumière s’allume automatiquement dans cette pièce cachée, une lumière jaune-verte qui lui donne un air plus inquiétant encore, des effluves nauséabonds parviennent aux narines de la journaliste, toujours assise dans le Chesterfield. Elle se pince le nez.
— C’est quoi cette odeur immonde ?
— Venez voir... lui sourit Akihiko Kobayashi les yeux mi-clos.
Se tenant toujours le nez, elle se lève, mue par une curiosité professionnelle et une témérité face au danger qui lui vient de son père.
À peine a-t-elle passé la tête dans la pièce, qu’elle aperçoit, effarée...
***
Elle se réveille, attachée par les poignets et les chevilles à une planche penchée à quarante-cinq degrés, face à ce qui semble bien être une plante carnivore. Une immense plante carnivore de plus de deux mètres de haut.
— Alors Seiko[4] ?... Comment la trouves-tu ?
Akihiko s’adresse à la plante en lui caressant le haut de ce qui pourrait être sa tête. Un gros bouton fermé qui s’ouvre alors, laissant apparaître deux rangées de dents acérées.
— Beeeelle ! meugle la plante.
Hanayo ne peut même pas crier, tellement elle est terrifiée. Elle regarde la plante, les yeux exorbités. Au bout d’un moment, elle réussit à balbutier.
— Mais, mais, pourquoi... Kobayashi sensei ?
— Parce que ma petite chérie vous voulait, et je ne savais pas comment vous attirer chez moi sans attirer l’attention. Je savais que vos gardes du corps ne vous accompagnaient jamais lors de vos rendez-vous professionnels. Aussi, avec tchatGPT j’ai écrit cette chose pernicieuse et médiocre. Je ne voulais surtout pas perdre de temps.
— C’est pour cela que vous l’avez fait publier sous un pseudonyme et chez l’éditeur Tōsaku[5] ?
— Vous êtes un peu lente à comprendre... mais évidemment, vous ne pensez pas que j’allais publier chez Chūōkōron Shinsha... la maison d’édition de votre patron !
— Mais que me voulez-vous ?
— Nous y voilà ! La philosophie de cet entretien est d’ordre... sexuel.
La jeune interviouveuse est sous le choc de ce terrible aveu.
— Comment ça ?
— Seiko va s’accoupler avec vous et ses rejetons seront les futurs maîtres du mon...
À cet instant, la porte de la pièce secrète est défoncée dans un fracas incroyable. Shizuka Takahashi, le garde du corps de la journaliste apparaît en sortant de la fumée, tel un ange sauveur.
— Seiko ! Attaque ! crie l’écrivain, tombé à terre.
***
Les trois policiers appelés par le garde du corps, Takahashi, se remettent de leurs émotions, et repartent avec Akihiko Kobayashi fermement maintenu par une camisole.
L’un d’eux, juste avant de quitter la scène, regarde la plante, définitivement morte, le pistil et l’étamine décomposés.
— Eh vous avez utilisé ça pour tuer “la bête” ?
— Oui ! Ce bon vieux Fly-Tox[6]... parce qu’il se trouve que par hasard j’ai lu un autre livre de ce fou : “La philosophie dans la bouture”, qui est un roman ignoble où les plantes prennent le pouvoir sur terre.
— Tout un programme, monsieur.
— Oui... heureusement j’ai découvert à temps le pot aux... roses !
[1] Premier journal au monde pour sa diffusion de 14 millions d’exemplaires.
[2] Il est utilisé après le nom de la personne pour s'adresser à un professeur, enseignant, médecin... ou un artiste reconnu. (wikipedia)
[3] Le langage des fleurs.
[4] Qui veut dire “enfant sacré”.
[5] Perversion.
[6] Toxique pour mouche.