“Denis éditions” éditions artisanales - Plus qu'une édition, une envie de partage
Le voyage descriptif de l’association Mille Traces, pour le renforcement des mesures de conservation de la faune sauvage et des habitats au cœur de la savane, complété par de magnifiques clichés d’animaux, de paysages et bien d’autres merveilles de l’Afrique de l’Ouest.

EXTRAIT







“Visites des classes, accueil rituel des écoliers. C’est l’occasion de présenter Clément de l’école bourguignonne, ce personnage « aplati », voyageur au long cours. Le lien maintenant crée, des échanges vont s’engager. Repartis sur la piste poussiéreuse en direction de Banikoara, nous croisons plusieurs camions remorques venant récupérer la précieuse récolte de coton. Vaste paysage dénudé, de champs récoltés, clairsemés d’arbres adultes exploités pour leurs fructifications ou feuillages (baobabs), leurs écorces (liens et vannerie), ou leurs branches (feux de cuisson). Puits équipés mutualisés proches des habitats groupés mais plastiques éparpillés en immondices, en quantité. L’Afrique se pollue… énormément.”

ISBN 97910947730035

Gazette n°518
mercredi 19 juillet 2023
inspirée par
“Voyage au W”
de l’association Mille Traces

L’Afrique, terre d’aventures éperdues.

DANS LA CHALEUR DE LA NUIT

La nuit en Afrique est très souvent aussi chaude qu’une journée en Provence, mais ma quête a plus d’importance que ça.
Je suis à la recherche de Maureen.
Maureen est pour moi ce qui pourrait se rapprocher le plus d’une mère. Surtout depuis la fuite de l’autre. Je dis “l’autre” parce qu’elle me détestait cette salope. Elle faisait tout pour me rendre la vie impossible, et ce depuis ma naissance contrainte.
Qu’est-ce que j’y pouvais moi ? Ce n’était pas ma faute si j’étais l’enfant d’un violeur. Il a beau avoir été pendu, Sheen, ma mère, me tenait pour responsable d’avoir été exclue de sa propre famille.
J’avais été placé en famille d’accueil. Et, à seize ans, j’ai fait la belle. Je me suis embarqué sur un chalut, comme mousse, et j’ai appris la vie sur le tas, si j’ose dire, parce qu’évidemment ça n’a pas été toujours agréable, principalement quand je devais servir de femme à l’équipage, pratiquement toujours les uns après les autres.
Donc, quand on a accosté à Abidjan, je me suis fait la malle.
C’est là que je l’ai connu... Maureen. Elle tenait un bar sur le port. Elle m’a recueilli, me protégeant de ceux qui voulaient profiter de moi ; toujours de la même manière.
Elle m’a appris à me défendre, faut dire qu’elle aussi était souvent aux prises avec l’un ou l’autre qui ne désirait que les parties charnues de sa belle anatomie.
— Tiens, Liam, si un mec te met la main au cul, pas la peine de te retourner, tu balances simplement ton pied en arrière, et vlan ! Directement sur ses bijoux de famille.
Ça la faisait rire. Elle devait déjà avoir essayé la ruade dans les couilles.
Et puis les années sont passées, elle m’a enseigné tout ce qu’elle savait. Grâce à elle je parle dix-sept langues, dont le peul, le songhaï, le kikongo et même le swahili. Évidemment l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol et même quelques rudiments de russe.
C’est il y a un mois. J’ai appris par un ami commun, Kouassi, qui tient une librairie-tabac-bijoux (et aussi quelques produits illicites), qu’elle avait disparue sans raison apparente.
J’étais en livraison de marie-jeanne pour le compte d’un gros bonnet de Maputo lorsque j’ai reçu son appel.
Ça m’a mis dans un état de fureur.
— COMMENT ÇA ? Tu sais pas où elle est depuis une semaine, et tu m’appelles que maintenant, tu te fous de ma gueule Kouassi !
Bon, je me suis excusé juste après. Il ne connaissait pas du tout mon numéro de portable. Il a dû chercher quelqu’un qui l’avait.
J’ai fait la livraison et je suis revenu fissa à Abidjan.
J’ai commencé mon enquête auprès de la pègre du port. Après tout, j’avais été bien “serviable” avec certains dans mes jeunes années, ils pouvaient me renvoyer l’ascenseur.
C’est là que j’ai enfin su, par un jeune dealer, Yacouba, qu’il l’avait vu en compagnie d’une bonne femme, une blanche, monter dans une Mercedes noire et luisante. Ça n’est pas anecdotique, ce “luisant” ; ça voulait dire que c’était un européen ou un occidental en tout cas. Les chefs, ici, se déplacent volontiers incognito. Question de discrétion. Y a qu’un occidental pour vouloir se faire remarquer comme un gros con.
Le fait est, que là, je suis enfin proche de l’endroit où elle est séquestrée. Dans une propriété d’un riche russe, Dimitri Lioubin. Mais ce que je ne comprends toujours pas, c’est qui est cette “femme blanche” dont m’a parlé Yacouba.
Il doit être deux heures du mat’, j’ai décidé d’attendre cette heure nocturne pour aller y voir et délivrer Maureen des griffes de ses geôliers. Et me rancarder moi-même de l’identité de la meuf.
Je sais où elle est détenue. J’essaye bien de crocheter la serrure, mais j’y arrive pas. Alors d’un grand coup d’épaule, je défonce la porte, et je m’étale comme une merde sur le plancher.
Au moment où je me relève, je vois Maureen attachée, nue, à un sommier, et juste à côté d’elle, debout, avec une sorte d’énorme pince, une femme qui à coup sûr allait la torturer.
Je reprends mes esprits, je la vois pas bien dans ce clair-obscur. Elle n’a pas le temps de se jeter sur moi. Je sors mon rigolo et je la fume avec deux pruneaux.
Je me précipite pour délivrer ma belle Maureen en espérant qu’il n’y a pas trop de monde dans le coin.
Maureen me regarde hagard, elle me sourit.
— Dis, Liam, tu sais pas qui tu viens de buter ?
Moi je m’en fous. Je l’ai déjà dans mes bras et je détale avec elle loin de cette foutue prison.
J’entends juste des cris gutturaux, des gens qui courent dans tous les sens. Et je m’aperçois en effet que j’ai pas pris le temps de lui demander son blase à cette femme, ni même de regarder son visage.
On s’approche de ma Jeep. Et là, dans la pénombre, juste éclairée des points scintillants du firmament et d’un petit morceau de lune, Maureen me dit :
— C’était ta mère !

Épinac, le 19 juillet 2023