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Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau était un des amis de Maximilien Robespierre et de Jean-Paul Marat. Son “Plan d’éducation nationale” voulait être humaniste et égalitaire dans une société à forte densité rurale. Mais c’est l’élitisme de Condorcet qui à la longue fut adopté. Pour l’anecdote, l’auteur fut assassiné le 20 janvier 1793 ; son plan fut donc présenté par son ami Robespierre, le jour même de l’assassinat de son autre ami, Jean-Paul Marat.

EXTRAIT



“Ainsi réunis tous ensemble, tous indépendants du besoin, par la munificence nationale, la même instruction, les mêmes connaissances particulières de l’éloignement du domicile, de l’indigence des parents, ne rendront illusoire pour aucun le bienfait de la patrie. Ainsi la pauvreté est secourue dans ce qui lui manque : ainsi la richesse est dépouillée d’une portion de son superflu ; et sans crise ni convulsion, ces deux maladies du corps politique s’atténuent insensiblement.”

ISBN 9791094773239

Gazette n°523
lundi 31 juillet 2023
inspirée par
“Plan d’éducation nationale”

Quelquefois les plans sont chaotiques.

LE BON PLAN

26 juin, salle B au rez-de-chaussée du Collège Saint-Moulin de Morteau-les-Mines. C’est le jour du Conseil de Classe pour la 3e B.
Le proviseur Gilbert Chary préside la séance de torture, entouré de son aréopage d’enseignants. Dans un coin, Fulbert Popotte, représentant des élèves de sa classe, tente de s’imposer.
— Bien, venons-en au “cas” : monsieur Thierotte Gihon, énonce, le proviseur, sur un ton goguenard.
— Ah ! Un sacré loustic celui-là, s’écrie Paul Latouffe, professeur de français et aussi professeur principal de la 3e B.
— Reprenons, si vous le voulez bien, le parcours du jeune Gihon, et faisons son panégyrique, si j’ose dire, continue Mr Chary.
— C’est déjà l’heure ? se réveille Ursule Lapointe, professeur de dessin.
Sa collègue, Kévinette Malpose, qui enseigne les mathématiques dans cette même classe, tapote très amicalement l’épaule d’Ursule.
— Rendors-toi, l’apéro c’est pour tout à l’heure.
— Ah...
— On peut continuer ? s’agace le proviseur... bien, le jeune Gihon, au début de ce qu’on peut appeler sa “carrière”, échappa à un redoublement de sa CE2 à l’école Saint-Gouffre du Creuset. Changeant d’établissement, il se retrouva donc en CM1, à l’École Saint-Puits de Potin-le-Preux.
— J’ai bien connu la directrice, précise sur un ton grivois, Mr Fulgence Hari, professeur de sports, dans l’oreille amusée de Mlle Jeanne Lanflac, professeure de musique.
— Quelque chose à ajouter, monsieur Hari ? s’interrompt le proviseur.
— Nan, nan... je suis tout ouïe.
— Bien... donc monsieur Gihon, doubla ce CM1 et sauta son CM2 pour atterrir au collège Saint-Cave de Morteau-les-Mines.
— J’ai bien connu une jeune surveillante à Saint-Cave, reprend Mr Hari dans la même oreille...
— Môssieur Hari !
— Oh... pardon ! s’excuse le coupeur de parole.
— Or donc... à Saint-Cave, monsieur Gihon fit une sixième classique dans un établissement pour garçons... ah non... pardon, au bout de trois mois, il fut changé de collège pour celui de Vieux-Saint-Cuve, à Savonette-les-Beaux.
— J’ai bien conn...
— Monsieur Hari !
— Okay, okay.
— Ne restant qu’une année dans cet établissement... privé, où il s’épanouissait dans une délinquance juvénile. Thierotte Gihon fut transféré au collège de Sainte-Abîme du Haut, à Cholon-sur-Sonne... où il fit sa cinquième.
— C’est déjà l’heure ? se réveille encore Ursule Lapointe.
— Dors Ursule, le buffet n’est pas servi, le rassure le proviseur, magnanime.
— Ah bon...
— Continuons donc les aventures de monsieur Gihon au pays des éveils... après cette cinquième, il fut dirigé vers une quatrième très aménagée, comme notre sainte administration sait si bien les imaginer... une CCCPPN[1]. Il y fit merveille ! Premier de sa classe, devant sa professeure. On le changea de classe et même d’établissement... ça pouvait être gênant.
Paul Latouffe, se râclant la gorge, lève un doigt poli.
— Oui monsieur Latouffe ?
— Je serais d’avis de faire une pause.
— Eh pourquoi... mortecouille ?
— Pour notre camarade Ursule...
— Moi aussi, s’exprime enfin Mme Eva Lapiplette, professeur de sciences-nat, j’ai une envie folle d’aller au petit coin depuis une heure.
— C’est l’heure ? demande une nouvelle fois Ursule, sortant de son coma.
— Oui mon bichon, lui sourit Kévinette Malpose, sa voisine.
— Bien... faisons une pause, donc.
***
— Reprenons les pérégrinations de notre étonnant Gihon...
— On en est à quel épisode, s’enquiert Ursule auprès de sa collègue.
— Épisode cinq de la deuxième saison.
— Chers collègues ! s’énerve Mr Chary, or donc... une fois en quatrième aménagée, le spécimen passa, dans le même collège... étonnant non ?... en troisième, tout autant aménagée. Mais alors que le conseil de classe d’alors suggérait un avenir prometteur dans la préparation à la vie active par un CAP, voie directe à la sainteté prolétarienne... sa mère, par son entremise... chose qu’elle faisait depuis la naissance de son rejeton de présence, lui trouva un nouveau débouché éducatif au collège Sainte-Fosse à Pâcon. Il y intégra donc une seconde troisième.
— Monsieur le proviseur ? coupa avec politesse Fulbert Popotte, représentant des élèves de sa classe, que cette noble assemblée avait presque oubliée.
— Que voulez-vous, si impudemment ? questionna Mr Chary.
— Vous noterez tout de même, qu’à partir de cette année-là, mon camarade s’est bien amendé de son parcours précédant.
— Certes, certes, je n’en disconviendrais pas, mais il faut préciser que c’est à cette époque que celui-ci commença une carrière de jeune révolutionnaire de type groucho-marxiste, en distribuant des tracts séditieux dans le collège même.
— Groupement duquel il fut exclu, précisa le digne représentant de la classe écolière.
— Oui... les exclusions ça le connaît. Bref... il finit cette expérience collégiale ainsi... mais lui donnerons-nous le BEPC, sésame divin pour sa troisième saison ?... Alors, chers collègues, que convient-il de faire de ce baroudeur de gloire ?
Le proviseur levant la tête de l’épais dossier qu’il était en train de refermer, s’aperçut que l’auditoire avait succombé dans un parfait ensemble à un voyage groupé au pays des songes.
Il se mit à penser : “Que c’est beau un mammouth qui dort, mais après tout... il ne nous reste que trente-deux cas à étudier.”
Il plongea alors dans un coma collégial.

Épinac, le 31 juillet 2023

[1] Classe de Correction de Compétence Préparatoire à des Professions Nullissimes. NdA