“Denis éditions” éditions artisanales - Plus qu'une édition, une envie de partage
Le travail, qu’est-ce que c’est, sinon l’exploitation de l’homme par l’homme ? Une évocation de ce que devrait être l’activité humaine.

EXTRAIT

“Ce texte est issu de “L’encyclopédie anarchiste”, parue en 1934.
On notera que depuis, la “société du travail” a bien évoluée... et malheureusement — après une période nommée “glorieuse” —, dans le pire.
Les acquis sociaux sont remis de plus en plus en cause par une bourgeoisie hautaine et le ramassis de ses larbins. On veut nous faire croire que l’avenir rose du plein emploi est toujours possible, alors qu’il n’en est évidemment rien. L’exploitation sous le prétexte de “travailler” (d’être soumis à une obligation de donner du temps) est devenu un leitmotiv ânonné, même par certains représentants de ce que l’on a appelé un moment “la gauche”. Nous vivons une période charnière, où cette “valeur travail” n’est devenue qu’un leurre pour l’exploitation, au moins offrant, du temps de vie de nos contemporains.
Il est temps de détruire cette société et d’en construire une nouvelle, sur les ruines du capitalisme 2.0.
À bas le travail !
Vive les travailleurs !
Vive l’anarchie !”

ISBN 9782851220936

Gazette n°525
vendredi 4 août 2023
inspirée par
“À bas le travail, vive les travailleurs”
un Collectif anarchiste
 
Posséder son outil, c’est une évidence.
 
Y A P'US QU'A
 
Il pleut sur Épinac, de gros nuages bien gris déversent sur ce petit bout de Bourgogne un torrent de gouttes fraîches.
Grégoire, manutentionnaire à l’usine de la librairie “Le café” est maussade. Hier, le conseil d’administration, présidé par Mr Henri de Poinçon des Lustres, a entériné la fermeture définitive de la plus grosse entreprise du village.
— Les gens ne lisent plus, ils veulent du numérique, et le numérique, nous on sait pas faire.
C’est par ces mots que la sentence fut rendue.
Mais Grégoire ne veut s’avouer vaincu.
Il pousse le lourd portail en fer forgé à l’entrée de la cour. Là se trouvent tous ses camarades réunis, sous la pluie battante.
— Ben alors ? Qu’est-ce qu’y s’passe ? demande-t-il à Marcel, son vieux pote d’atelier.
— Y z’ont fermé la porte à clef.
— Ah merde, les cons.
Le petit groupe entoure Grégoire, leur représentant syndical (élu sur la liste NRF[1]).
— On fait quoi, Grégoire ?
Il se gratte la tête, reste silencieux. Il regarde la porte close de l’atelier de prélivraison, l’œil perdu.
Le silence pesant dans le chant incessant de l’eau qui tombe, indifférente, se poursuit. Ça ressemble à un tableau réaliste et morbide d’un enterrement.
Soudainement, ses yeux s’illuminent, comme une reprise de conscience après un long sommeil.
— On défonce la porte, on reprend possession de notre outil de travail. On va se battre et faire par nous-mêmes.
D’abord surpris, la petite troupe relève la tête. Les sourires remplacent la morosité et les pleurs. Ils se dévisagent les uns les autres dans le sentiment complice d’une transgression.
C’est Marcel, cependant, avant que les plus déterminés aillent chercher de quoi faire sauter l’énorme cadenas, qui pose la question à Grégoire :
— Camarade, je suis d’accord pour ce que tu dis, mais après ? On fera quoi ?
— Tu crois que ce sont les crânes d’œuf qui savent faire ?
— Ben non.
— Tu crois que ce sont ceux-là qui produisent ce qui nous permet de vivre ?
— Ben non, mais si personne ne lit plus, à quoi bon ?
— Moi j’y crois pas, y en a toujours qui lisent des bouquins, des journaux, et même des flyers. Le truc c’est l’intérêt qu’on peut susciter... et surtout, surtout, si y sont plus là, les ceusses des bureaux qui s’enfouissent des salaires mirobolants... ben on peut être vachement plus “compétitifs”, comme qu’y disent.
Marcel avait pas pensé au truc. Et plus ça tourne dans sa tête, plus il voit la chose d’un bon œil. À quoi bon un mec derrière un bureau, qui donne des ordres, un autre qui fait que compter leur pognon du matin au soir... “nous aussi on sait compter, et en plus, on connaît la valeur de notre vie... les pauvres, ça sait !” se dit-il à lui-même. “Sans compter les secrétaires... elles sont sympas, mais des filles on en a aussi à l’atelier, et elles savent aussi bien recevoir les clients qui viennent visiter. Elles aussi, elles savent faire.”
— Ouaih, je te suis, Grégoire. Mais y sont “propriétaires” de l’usine aussi. Ils ont raqué pour l’claque et l’bastringue.
— T’inquiètes ! La fraîche, à nous tous, on s’la fait.
“Pas con”, pense Marcel.
— Alors... y a p’us qu’a !
 
Épinac, le 4 août 2023

[1] “Non, Rien à Foutre”, émanation du mouvement libertaire.