Sujet confidentiel, car fort peu traité ; qui plus est, spécifiquement en Bourgogne. La condition sociale du serf, décrit sous tous ses aspects dans un petit ouvrage rare. Réédition d’un texte du Dr Bertin.

EXTRAIT

“On croit généralement que le paysan, au Moyen Âge, était attaché à la terre sans possibilité de sortir, d’une façon légale et certaine, de cet esclavage déguisé.
Ceux qui se sont occupés de la condition des personnes à cette époque savent le contraire ; mais ils sont peu nombreux, et il y a intérêt à appeler l’attention sur ce sujet.”

ISBN 9791094773352

Gazette n°535
lundi 28 août 2023
inspirée par
“Aperçu du servage en bourgogne au moyen-âge”
du docteur Bertin
 
Une certaine abolition du servage...
 
LE TESTAMENT DU BARON
 
C’est un petit village, au fin fond de la forêt vosgienne. Saint-Dumont du Port.
Ce 4 décembre 1778, il fait très froid, comme depuis plusieurs années ; mais cet hiver est plus rigoureux encore.
Robert, serf de Monsieur de Gentris, baron de Gluttard, pioche à la main, tente de percer la couche de glace dans la rivière du domaine.
C’est à ce moment précis, que le maire, Monsieur de Thierry, nommé par le roi quelques années plus tôt, débarque sur les rives gelées de la Glutt.
— Tiens, que fais-tu donc ici, Robert ? As-tu reçu autorisation de faire ceci ?
— Non, monsieur, mais hier soir j’ai cru entendre un grand cri. J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu une lueur qui venait d’ici. La nuit était plus froide encore que les jours précédents, alors j’ai attendu ce matin pour y voir.
Le magistrat, très étonné des propos du serf. Descend de son cheval et rejoint Robert.
— Vas-y, continu alors...
Au bout de quelques instants, la glace cède, et les deux témoins découvrent dans l’eau... un corps bleui, blafard.
— Mais c’est Jeanne, s’exclame Robert, tétanisé d’effroi.
— N’était-elle pas en servitude de monsieur le baron ?
— Si monsieur, même que monsieur le baron avait des privautés sur ma fille, ma petite Jeanne.
Le magistrat communal reste coi et perplexe. Les rumeurs qui courent dans la région au sujet du baron de Gluttard, qu’il pensait n’être que de sales ragots de paysans aigris, lui reviennent en mémoire.
— Cette nuit, mis à part la lueur que tu as discernée... tu n’as rien vu d’autres ?
— Ben non monsieur, il faisait très noir et mes vitres étaient trop glacées pour que j’en aperçoive plus.
Monsieur de Thierry, sans mot dire, retourne précipitamment à son cheval.
Alors que Robert sort le corps sans vie de sa descendance, le maire galope déjà dans la direction du château.
“Il faut que j’aie une explication avec monsieur le baron”, pense-t-il en chevauchant à bride abattue.
Quand il arrive au pied du grand escalier, il saute de cheval et enjambe les marches, comme fol.
Frappant frénétiquement l’huis à grands coups d’heurtoir, il n’a pas à attendre longtemps avant de voir apparaître... le père Laurent, curé de la paroisse.
Monsieur de Thierry, en voyant apparaître le représentant du Christ devant lui, a un mouvement de recul.
— Que faites-vous là, monsieur le curé ?
— Je suis venu rendre les derniers sacrements à monsieur le baron.
— Comment ça... serait-il ?
— Mort, monsieur de Thierry.
— M... mais... mais... com... comment ? balbutie-t-il sous le coup de l’émotion.
— Suicide, dit tristement le prêtre.
Le magistrat, semblant perdre l’équilibre, est retenu par l’abbé. Cependant, réussissant à reprendre ses esprits...
— A-t-il laissé la raison de son geste ?
Le prêtre acquiesce par un mouvement de tête, les yeux s’embrumant de larmes.
— Oui, une lettre. Mais Malheureusement, je ne pourrais l’accueillir en notre cimetière... ceux qui défient l’ordre divin ne peuvent prétendre à la terre sacrée.
— Je sais, murmure presque Monsieur de Thierry en tapotant l’épaule du curé. — Puis-je lire la lettre ?
L’abbé lui tend une feuille, que le maire prend avec précaution, tel le vestige d’une révélation.
“Moi, baron de Gluttard, seigneur des terres du Glutt, m’accuse du crime de meurtre envers ma servante, Jeanne. Ma folie pour elle m’a fait perdre tout sens commun, et dans un geste inconsidéré, je l’ai poignardé, à cause du refus qu’elle fit d’être mienne.
Aussi, pour tenter de me faire pardonner ce crime atroce, je lègue à son père, mon serviteur dévoué ; après l’avoir affranchi de son état de serf ; tous mes biens et domaines en lui demandant très sincèrement son pardon de père affligé.
Georges de Gentris, baron de Gluttard”
 
Épinac, le 28 août 2023