Gazette n°536
mercredi 30 août 2023
inspirée par
“Avis de tempêtes”
de Gérard Battaglia
Les prières ont des revers quelquefois.
QUAND LE VENT SOUFFLERA
Ce matin-là, la mer est calme, trop calme, le vent est absent, comme si le souffle de zéphyr avait disparu dans la nuit. Les voiles du “Commandant Pall”, grand navire à trois mats, restent plates comme limande morte.
Le capitaine George-John Lawferg, sur le pont, regarde l’horizon au travers de sa lunette avec anxiété.
— Capitaine... alors ?
— Rien ! Pas un seul nuage, monsieur Bradley.
— Alors, qu’allons-nous faire ?
Lawferg se tourne vers son second, il a son visage des mauvais jours.
— Prier.
Monsieur Bradley, un athée convaincu ne peut réprimer un rictus moqueur.
— Je ne vois pas qu’un dieu puisse nous venir en aide, capitaine.
— Qui vous parle d’un dieu ?
Bradley, piqué au vif par cette remarque absconse, ne répond miette.
— N’y a -il pas parmi nos hommes, un certain Wesley Corne de Taureau ?
— Si, capitaine... le jeune Wesley fait bien partie de l’équipage, mais je...
Le capitaine lui coupe la chique sur un ton comminatoire.
— Allez me le quérir... sur le champ !
Monsieur Bradley, même s’il n’arrive à comprendre les raisons de son capitaine de lui amener le mousse-homme à tout faire ; va pour chercher le jeune garçon.
Quelques minutes plus tard.
— Capitaine... voici le jeune Wesley Corne de Taureau.
Wesley, est un jeune homme d’une vingtaine d’années, frêle d’aspect, et pourtant musculeux, le menton carré et l’œil vif des gens de sa tribu. Silencieux, il se tient droit et plonge son regard dans les yeux de son capitaine qui déjà le jauge de pied en cap.
— Bonjour, jeune Wesley, je me suis laissé dire que vous étiez de la tribu des Jirquois.
— Oui capitaine, répond sobrement le jeune homme.
— Je connais bien la réputation de votre tribu... une vieille histoire. Je sais votre art ancestral de réveiller ou endormir les éléments. Or nous sommes bloqués sur l’océan sans aucun souffle de vent, et si ça continue, nous risquons tous une mort lente de déshydratation et d’inanition.
Le jeune homme, conscient de ce que va lui demander son capitaine, esquisse un sourire bienveillant et compréhensif.
Sans mot dire, il va se mettre à l’écart, s’assoit en tailleur, ferme les yeux et baisse la tête, serein.
Il entame alors une mélopée douce et répétitive en levant les bras au ciel, le regard toujours fermé et le visage enfoui dans sa poitrine.
Ses supérieurs le regardent, subjugués.
Ils restent silencieux, même si le second, en for intérieur se moque bien de ces “simagrées”... il ressent tout de même un certain respect pour ce qu’il voit et entend et ne comprend pas. Quant au capitaine, les bras croisés, se tenant droit, regarde et écoute avec intérêt et espoir.
Soudainement, du lointain, des nuages apparaissent. De plus en plus nombreux et portés par le vent qui commence à ressusciter les toiles platement mortes.
Les vagues s’agitent... le navire reprend vie.
Alors, Wesley se relève, et sans rien dire toujours, retourne à ses occupations.
— Merci ! dit simplement le capitaine.
— Prodigieux, ne peut qu’exprimer le second, monsieur Bradley.
Cependant, le vent devient de plus en plus violent et les voiles, gonflées à bloc, tirent le trois mats de plus en plus vite sur l’océan.
— Mordious ! Je ne m’attendais pas à tel résultat avec cette prière, s’inquiète le capitaine.
Monsieur Bradley, sourire aux lèvres, et se tenant au bastingage, n’a que le temps de dire quelques mots avant d’être emporté par une déferlante.
— Qui sème le vent... récolte la temp...
Épinac, le 30 août 2023