Gazette n°543
vendredi 15 septembre 2023
inspirée par
“Chroniques pornographiques”
d’Énis
La pornographie c’est l’érotisme des autres, selon certains...
TOUTE PROPORTION GARDÉE
1592, l’architecte Domenico Fontana[1], lors des travaux pour la construction d’un canal déviant le cours du Samo, en Campanie, fut appelé par les ouvriers.
L’homme de l’art, allongé mollement sur de gros coussins chatoyants, entouré de jeunes gens, tout comme lui d’ailleurs, assez dévêtus, est interrompu dans ses agapes par l’un de ses valets rompus aux habitudes de son maître.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi me déranger ?
— Monsieur, les ouvriers étaient en train de creuser et ils ont découvert des choses... inexplicables.
— Comment “des choses inexplicables”, soyez plus clairs ?
— ...Des mosaïques... diaboliques, à ce qu’il m’a été rapporté !
L’architecte, qui s’apprêtait à aller à Naples pour cette fin de semaine ensoleillée, se détendre quelque peu avec ses “créatures”, se trouve devant un dilemme qui l’oblige à faire un choix entre ses plaisirs et sa curiosité naturelle.
Il se lève, maugréant et passablement énervé.
— Bien... allons voir !
— Domenico... tu nous abandonnes ? l’interpelle un jeune homme aux gestes un rien efféminés.
L’architecte lui sourit en se revêtant.
— Non, non, bel Adonis... je serais de retour sans même que tu t’en aperçoives.
***
— Voyez vous-même, Monsieur, fait le chef de chantier, Marcello Padiniotti en montrant l’endroit creusé.
Domenico découvre alors l’image d’une jambe en l’air... la jambe nue d’une femme qui visiblement, s’offre aux atours virils d’un homme tout aussi nu, qui est à genoux entre les cuisses de la femme.
— Eh bien ! Ce ne sont là que paillardises bien inoffensives, seriez-vous de ces escouillés qui s’offusque du moindre morceau de chair offerte ?
Marcello rougit.
— En fait, il ne s’agit pas vraiment de cette image-ci, Monsieur.
— Eh... alors ?
Le doigt tremblant, visiblement en proie à une peur inextinguible, il montre plus à gauche, une autre représentation.
Cette fois c’est l’architecte qui tombe sous le coup d’une vive émotion.
Un homme, à quatre pattes, totalement nu, les fesses rebondis, semble vouer son postérieur à Priape lui-même, à la vue de l’engin dont est muni son partenaire.
— Ooooh ! s’exclame l’architecte.
Domenico chancelle, et manquant de s’effondrer par terre, il est retenu par le chef de chantier.
— Qu’est-ce je vous disais... Monsieur. C’est bien le diable qui a habité ici.
— Oui... oui, sans aucun doute.
— Alors que fait-on ?
L’architecte essaye de se remettre de ses émois le plus naturellement possible, et se retournant vers son employé.
— Recouvrez tout ça !
— Mais ? Ne devrions-nous pas détruire d’abord ces abominations ?
Cherchant à éluder le problème, il fixe profondément Marcello du regard, en levant paternellement le menton.
— Le Seigneur a voulu nous montrer ses horreurs pour nous mettre à l’épreuve... c’est fait ! C’est à lui de juger si cela doit être détruit ou servir sa cause, la cause de la morale et du bien séant. Vous allez recouvrir, comme je vous l’ai ordonné, ces... choses.
Le chef de chantier, quelque peu déconcerté malgré tout, ne peut réellement s’opposer à l’explication que lui a donné ici Domenico Fontana des desseins du “tout-puissant”.
Repartant vers ses “chers amis”, Domenico, met discrètement la main dans ses chausses, afin de reposer son... émoi.
“Certaines proportions sont tout de même assez extravagantes” sourit-il en lui-même, pensant à son Adonis.
Épinac, le 15 septembre 2023
[1] (1543-1607), Architecte tessinois, “maniériste” c’est-à-dire qui veut rompre délibérément avec l’exactitude des proportions, l’harmonie des couleurs ou la réalité de l’espace pour produire un nouvel effet émotionnel et artistique.