Gazette n°544
lundi 18 septembre 2023
inspirée par
“Claude Gueux,
plaidoyer contre la peine de mort”
de Victor Hugo
La fiction est une forme de catharsis.
LIRE TUE
Nota bene :
Toute ressemblance avec des faits réels ou fictifs, des personnages existants, ou imaginés, ne sont purement pas fortuite et ne sont pas forcément le fruit d’une pure coïncidence.
Le 5 décembre 2023, Viktor Orbán a fait voter le rétablissement de la peine de mort[1] par le parlement à sa botte.
— Qui es-tu ? demande Gábor Donáth, commissaire de Erzsébetváros, le 7ème arrondissement de Budapest.
Celui qui est interpellé ainsi, n’est autre que Zoltán Szíjj, intellectuel et opposant historique au premier ministre hongrois, libraire de son état dans cette petite boutique.
— Je suis Zoltán Szíjj, le propriétaire de cette librairie.
Le commissaire fronce les sourcils, et un sourire narquois se dessine sur sa figure grise.
— Ah ! Le fameux !...
Gábor lui tourne le dos, et tandis que les trois sbires qui l’accompagnent entourent Zoltán ; il regarde les ouvrages sur les étagères.
Soudainement, il s’arrête devant une rangée et prend l’un d’eux.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Un livre, plaisante le libraire.
Il reçoit en retour une baffe de la part du fonctionnaire.
Le commissaire ouvre les pages et commence à lire, avec une certaine difficulté de compréhension visible.
Il se retourne vers l’opposant avec un regard noir.
— Te fous pas de ma gueule Zoltán ! Tu sais bien que ce machin est interdit depuis la loi sur les livres autorisés[2].
— Il me restait cet exemplaire... en quoi un seul livre peut être un danger pour ton maître ?
Il se reçoit une autre baffe qui le fait pisser du sang par le nez et la bouche.
— Ta gueule !... Emmenez-le, on va voir ça au poste !
***
Mis en prison préventive après un interrogatoire... musclé, Zoltán se retrouve dans une cellule avec un prisonnier de droit commun, Oszkár Barta, accusé de malversation comme ancien trésorier du parti d’Orbán, le Fidesz.
5 mars 2024, Budapesti Fegyház és Börtön (Pénitencier prison de Budapest).
— Allez, donne-moi ton p’tit cul, intellectuel de mes deux, grommelle Oszkár en s’approchant de son codétenu.
— T’approches pas, pourriture ! essaye-t-il de se défendre en agrippant le lit superposé en métal.
Son agresseur sort une lame qui luit à la lueur de la lune dont l’éclat se reflète sur la pointe.
— Laisse-toi faire... salope ! dit l’homme en baissant déjà son pantalon.
S’étant trop agrippé au montant du lit, celui-ci choit sur Oszkár qui tombe sous le poids... et reste inerte.
Figé par la peur et la fureur, Zoltán ne bouge pas tout de suite. Mais, voyant son assaillant toujours immobile, il relève l’objet pour découvrir la lame enfoncée dans la gorge du détenu.
Imprudemment, et voulant sans doute venir en aide à cet homme qui voulait le violer, il prend le manche du couteau... juste au moment où le gardien, inquiet du raffut de cette cellule, ouvre la porte.
— Prisonnier 5 442 ! Lâche cette lame ! Tout de suite !
***
2 juin 2025, Igazságügyi Palota (Palais de justice de Budapest).
— Accusé, levez-vous !
Le président du tribunal, Mihály Szájer, petites lunettes rondes sur le nez, la tête penchée sur sa feuille, fusillant du regard Zoltán Szíjj par-dessus ses montures en écailles, s’apprête à lire le délibéré du jury... professionnel[3].
— Zoltán Szíjj, vous êtes reconnu coupable : de meurtre envers votre codétenu, Oszkár Barta ; de pratiques interdites et contre-nature, infligées à la même victime ; et en outre, convaincu de diffusion d’œuvres illicites dans le cadre de votre activité subversive... en conséquence de la loi du 12 mai 2024 et de l’article 245, alinéa 3 de la loi du 5 décembre 2023, vous êtes condamné à mort...
Alors que le condamné, le regard dans le vide, est emmené par ses gardes, Zsuzsa Cseszneky une journaliste infiltrée clandestinement[4], se tourne vers le commissaire Gábor Donáth, à l’origine de l’arrestation du condamné.
— Au fait, de quelles œuvres illicites s’agissait-il ?
— “Claude Gueux, plaidoyer contre la peine de mort”, de Victor Hugo.
Épinac, le 18 septembre 2023
[1] Abolie le 24 octobre 1990 en Hongrie.
[2] Le 1er juillet 2021, une loi de “protection de l’enfance”, interdit la promotion et l’affichage de livres faisant “la promotion de l’homosexualité et du changement de genre”. La loi fut durcie en mai 2024 sur d’autres sujets de société, dont la peine de mort.
[3] Op. cit., la loi du 1er juillet 2021, modifiée en mai 2024, qui a aboli les jury populaires.
[4] La profession de journaliste a été abolie par la loi du 23 mars 2025 sur la “propagation des fake news”, et remplacée par le service d’information nationale.