Six histoires humoristiques d’un commissaire de la Brigade des Mœurs, entre 1867 et 1873. D’une maison close parisienne où un dangereux individu sévit ; à l’Hôpital de la Charité, où l’on découvre les relations intimes d’une sœur ; en passant par la présidence du Maréchal de Mac Mahon secouée par une affaire touchant à la morale publique, suivez les pérégrinations de ce défenseur de l’ordre et de la morale, pourfendeur de la décadence des mœurs. Le commissaire Judel est accompagné d’un gamin curieux, un peu casse-pied... mais en admiration de son héros.

EXTRAIT





ISBN 9791094773116

Gazette n°546
vendredi 22 septembre 2023
inspirée par
“Commissaire Judel, 1867-1873”
de Denis
 
Des fois, il faut garder son calme.
 
L’AFFAIRE DE LA GIRAFE CANNIBALE
 
61 rue de Montreuil, à Paris, 6 octobre 1860. Un petit immeuble bourgeois.
Après cet été “pourri” dans la capitale, les parisiens vont pouvoir enfin découvrir une nouveauté : Le jardin d’acclimatation !
3ème étage, un appartement.
— Ma bonne Émilie, où est ma cravate ?
— Celle à pois verts ?
— Non... aujourd’hui, c’est un jour très spécial. Je prendrai la rouge bordeaux.
Émilie, c’est la dame qui s’occupe de ce vieux célibataire de Jules Judel, qui fut nommé par le Préfet de Police de Paris, Symphorien Boittelle, chef du Service extérieur des affaires spéciales non résolument sans suite[1] le 15 août de cette même année.
— Ah oui, l’inauguration ! Y a Napo ?
Jules fronce les sourcils en se retournant vers sa gouvernante.
— Émilie ! Vous savez fort bien que je n’aime pas que vous vous moquiez de l’autorité supérieure.
Émilie rougit en baissant la tête humblement.
— Pardon commissaire... une vieille habitude de mon défunt mari.
— Ah oui... le “révolutionnaire” ! Bon... cette cravate ?

***

Une fois habillé correctement, le commissaire, prenant le tramway, fini par arriver sur les lieux de l’inauguration de ce Jardin d’acclimatation qui fait jaser la capitale depuis quelques mois.
Le gratin de différentes académies est déjà sur place, attendant l’arrivée imminente de l’Empereur. Soudainement des rumeurs se propagent.
“Il y aurait un ours en liberté...”
“Il y a des ours libres...”
“Des ours ont libérés la girafe...”
“Des ours ont libérés les girafes...”
“Les girafes ont libérés les ours...”
“Les girafes et les ours se révoltent...”
“Les girafes ont mangés un ours...”
“Une girafe a mangé les ours...”
— Holaaaa ! crie le commissaire, alors que la foule en transe reflue, paniquée, vers la sortie.
— Il y a des girafes cannibales !!! gémit, hystérique, la Baronne de Fursach en piétinant son mari.
Le commissaire, gardant, stoïque, son calme, pour ne pas dire son flegme. Sort son arme de service et tire en l’air.
— Du caaaaalme !
La foule, dégrisée de sa peur, se fige.
Davioud et Barillet-Deschamps, les maîtres d’œuvre du Jardin, s’approchent timidement du fonctionnaire au sang-froid.
— Qu’allons-nous devenir, mon capitaine ? susurre en premier Davioud.
— Je croyais les girafes herbivores, mon commandant ? questionne le second.
C’est alors que leurs yeux s’ouvrent tout grand, comme des soucoupes. Leur regard pétrifié fixe quelque chose dans le dos du commissaire.
— Là ! Là... der...
— Derrière-vous, général ! crie Davioud avant de faire demi-tour pour s’enfuir.
Le commissaire, stoïcien jusqu’au bout, se retourne nonchalamment.
Devant lui, une girafe avec un petit cou d’à peine cinquante centimètres et une gueule aux dents de vampire.
C’est à cet instant crucial que Judel... éternue. Et alors, contre toute attente, la girafe répond...
— À vos souhaits !

***

— Et ça s’est fini comment cette fameuse histoire ? demande le journaliste de La Presse[2], Marcel Rouletaballe à Jules, le soir même.
Judel part dans un grand éclat de rire, en face du journaliste, médusé.
— Il n’y a pas de girafe cannibale !
— Ah ? fait naïvement Marcel.
— C’était Maximilien Lerouge déguisé.
— Le révolutionnaire ?...
— Oui, le révolutionnaire proudhonien. L’époux d’Émilie, ma gouvernante.
— Mais comment avez-vous su lorsque, devant vous, vous aviez ce “monstre” ?
— C’est bien simple... c’est très malpoli de dire à quelqu’un “À vos souhaits” lorsqu’on éternue !
 
Épinac, le 22 septembre 2023

[1] Qu’on nomme pudiquement SEASNRSS.
[2] Premier des grands quotidiens populaires français, créé en 1836.