Un nouveau recueil de Gérard Battaglia en “alphabétie”, emplit d'émotions, de visions, de désirs, de souvenirs, de regrets coulant de mots choisis, ciselés, posés là... ensembles, au plaisir labial.

EXTRAIT

“Farniente.

La nuit était partie suivre la marée basse
Où le soleil-récif jouait les matamores
Pour couronner d’ardeur sur la plage les corps
De belles alanguies que le sable délasse

Sur la pointe des pieds le vent du matin brasse
Des traînées de pensées réveillées par l’aurore
Dans le désordre bleu du feu des sémaphores
Qui bordent l’horizon loin du vol des rapaces

Qui ont abandonné les îles trop lointaines
Pour répandre leurs cris dans les champs de nos plaines
Qu’on avait désertés pour pouvoir embrasser

D’un regard langoureux nos belles étendues
Sous le soleil criard comme un fruit défendu
Que nos jours de repos nous offrent de presser”

ISBN 9782851221261

Gazette n°547
lundi 25 septembre 2023
inspirée par
”Commune mesure”
de Gérard Battaglia
 
Il y a certaines mesures, peu communes.
 
LA VOLONTÉ DES DIEUX
 
Néferhotep regarde le ciel, en paix avec lui-même et son dieu en ce petit matin du mois de Djehouty[1].
Il vient de faire bâtir, pour la gloire de celui auquel il croit, une gigantesque colonne de 161 mètres et 8,03 centimètres de haut, surmontée d’un triangle en métal dans lequel se trouve placé, au centre, un éclat d’or.
— Néferhotep, quelle merveille ! lui dit Hatméhyt, sa femme.
Elle l’enlace par son bras autour de sa taille, avec une tendresse infinie.
Il tourne vers elle sa tête au regard si perdu. En effet, depuis qu’il a décidé de renier les anciens dieux, il est entré en rébellion contre la puissance des prêtres de la capitale, Memphis.
— Merci ma toute belle, je devais bien offrir à Lhôt un monument plus grandiose que la pyramide de Khéops.
— Oui, mon tout beau, répond Hatméhyt en pressant doucement son visage contre le bras puissant de son dieu-vivant.
Le Pharaon et son épouse relèvent la tête vers le ciel, tandis qu’il implore, les yeux embués de larmes.
— Lhôt ! Réponds-moi, donne-moi le signe de ta reconnaissance !
Puis, sans bouger outre, ils restent tous deux silencieux.
Au bout de longues minutes, les yeux fixés au firmament, Hatméhyt rompt le silence.
— Il ne répond pas, mon cher époux.
Néferhotep a l’air inquiet, son visage se pare d’une angoisse diffuse.
— Aurais-je mal interprété le message de mon dieu ?
— Enmoutef a pourtant travaillé longtemps sur cette mesure que tu as reçue dans ton rêve.
— Oui... le nombre d’or. Il a été difficile à déchiffrer. Bien que Psammouthis, ce grand prêtre de Memphis à la langue de cobra, ait colporté des mensonges sur les connaissances d’Enmoutef. Le calcul ne peut être remis en question... le nombre d’or est bien 161,803.
Hatméhyt, la bouche grande ouverte, le regard hypnotisé, secoue le bras de son aimé.
— Regarde Néferhotep !
En effet, dans le ciel bleu, un nuage gris se forme et grossit à vue d’œil... juste au-dessus de la colonne.
— Un signe ! crie le Pharaon.
— Pas celui que tu attendais, dit sur un ton désagréable, une voix dans son dos.
Les époux se retournent.
C’est Psammouthis, en grande tenue, qui contemplant le nuage d’un air satisfait, vient les narguer.
— Je devrais te faire empaler... Prêtre ! grommelle Néferhotep.
— Tu le peux, Pharaon, mais cela n’empêchera pas la colère de Seth[2].
Au même moment, un grondement sourd se fait entendre et un éclair aveuglant frappe le corps de la colonne, qui dans un fracas d’apocalypse, s’effondre. Ne laissant qu’un reste planté dans le sol, un reste un peu moins grand qu’un homme.
Néferhotep et Hatméhyt tombent d’un coup à genoux, le cœur brisé.
— Pourquoi ? sanglote Pharaon.
— Parce qu’il n’y a pas qu’un seul dieu, Néferhotep. Et que ton erreur... enfin, celle d’Enmoutef, t’a mis sur le chemin de l’apostasie.
Pharaon, toujours à genoux, supplie le grand prêtre.
— Ôtes-moi la vie, Psammouthis, je suis impardonnable. J’ai trahi mes ancêtres et ma famille divine. Je suis un infâme renégat !
Le grand prêtre s’approche alors de son Pharaon, lui tend la main en souriant.
— Allons, allons, n’ajoute pas la démesure à ton erreur. Viens !
— Mais alors ? D’où vient mon erreur ? Mon rêve ?
— Khonsou[3] n’est qu’un enfant, et ce fils d’Amon et de Mout, est de temps en temps farceur. Quant au nombre d’or, laissons-le aux dieux...
— Mais Enmoutef ?
— Il s’est enfui ce matin...
Interrompant cet aparté, un prêtre de la suite de Psammouthis, effaré, arrive en courant.
— Grand-prêtre !
— Qu’y a-t-il ?
— Venez voir !
Le petit groupe s’approche du reste de la colonne pour apercevoir un corps démembré.
— Mais, c’est Enmoutef ! crie Pharaon.
— Son orgueil a été châtié par Seth. Le nombre d’or appartient aux dieux, c’est à eux de décider du moment où il sera révélé, dit doctement le grand prêtre en mettant la main sur l’épaule de son Pharaon, Néferhotep.
 
Épinac, le 25 septembre 2023

[1] Du 19 juillet au 17 août, durant la saison Akhet.
[2] Qui, en autres, est donné comme le Maître du tonnerre et de la foudre dans l’Égypte antique.
[3] Dieu de la Lune.