J’ai choisi à dessein d’utiliser le mot “pédérastisque” dans le titre pour replacer ces contes dans leur contexte historique d’écriture du xviie siècle. En effet, le mot “homosexuel” apparaît en 1868, alors que le mot “pédéraste” existe, lui, depuis le xvie siècle. Avant, pour désigner les amours masculines, on employait les mots “sodomites” ou “bougres”. Quant au terme moderne, “gay”, s’il désignait d’abord des plaisirs immoraux à partir du xviie siècle, c’est véritablement en 1947 qu’il commence à désigner les homosexuels et qu’il devient un terme politique que ces derniers s’approprient pour devenir une revendication identitaire lors de la première Gay pride à New York en 1970.
Treize contes sur l’amour entre hommes, de cet amour éternel et inaltérable aussi doux que la plume d’un oiseau et aussi fort que le plus dur des granits.

EXTRAIT

“[...] Finalement Gorokitji tomba malade de sa détresse. Et sur son lit de malade il s’ouvrit enfin à son ami, dont le nom était Mouranosouké Higutji. La voix de Gorokitji était faible et tremblait en racontant sa vie passée et ce qui se rapportait au brûle-parfums : « Le propriétaire de cet encens était mon amant. Nous nous aimions d’un amour inaltérable. Mais mon amant pensa que notre amour pourrait être nuisible à ma carrière. C’est pourquoi il me laissa dans cette contrée de l’Est et se rendit à Kyoto. Mais je ne pouvais l’oublier. ”

ISBN 9782851220721

Gazette n°553
lundi 9 octobre 2023
inspirée par
“Contes pédérastiques de samouraïs”
de Saïkakou Ebara

De l’honneur de mourir amoureux.

YOSHITSUNE ET MYŌJARI

Minamoto no Yoshitsune, samouraï, se prépare à se donner la mort dans le château de Fujiwara no Motonari à Koromogawa, en 1189.
Son frère, Yoritomo, excédé par celui-ci a donné l’ordre de l’attaque.
— Yoshitsune sensei, puis-je t’assister ? demande Masashi, son serviteur.
— Non Masashi, je dois finir ici, seul... c’est le songe que j’ai reçu du tengu[1] de mon enfance.
Le serviteur, obéissant et résigné, s’en va en se retirant respectueusement.
Yoshitsune, resté seul selon son souhait, se met à genoux, prenant en main sa lame surnommée Imatsurugi.
Il lève pour la dernière fois la tête vers le ciel empourpré de cette fatidique fin de journée.
— Ô mon frère, tu es mon vainqueur, je suis honoré de t’offrir ma mort...
D’un geste lent et décidé, il va pour plonger la lame de son tantō[2] dans son ventre.
Lorsqu’une main à l’aspect de serres arrête son geste.
— Yoshitsune !
Fâché et tournant la tête vers l’être qui vient de l’interrompre, il essaye de voir. En contre-jour, il ne peut distinguer, se découpant sur le ciel, que la silhouette d’un être fantastique. Une tête et un corps à l’apparence humaine, pourvu de grandes ailes de rapace.
— Qui es-tu pour déranger mon sacrifice de cette manière ?
— Tu ne me reconnais pas ?
— Tu n’es qu’une ombre, tengu !
L’être se décale alors pour lui faire face se montrant à lui en se mettant à genoux.
— Je suis Myōjari, le daitengu[3] qui t’a appris l’art de la guerre lorsque tu étais encore un jeune guerrier.
Yoshitsune, retrouvant la joie de sa jeunesse, le prend dans ses bras.
— Ô Myōjari ! Mon aimé. Pourquoi es-tu venu m’empêcher d’accomplir mon destin ?
— Non, Yoshitsune... pour le partager.
Profondément troublé par cet amour si fort, que Myōjari veuille mourir à ses côtés, il ne peut retenir ses larmes.
— Mon beau tengu, je ne peux accepter ton sacrifice, même si mon cœur bat si puissamment de ton amour.
— Je t’en supplie, Yoshitsune, je ne peux continuer mon existence te sachant mort.
Ému par le ton doux et la ferme décision de son amant, il ne peut que céder.
Myōjari, toujours à genoux, en face de lui, prend son tantō qu’il avait à sa ceinture. Et dans un geste commun d’amour et d’intense tendresse, les deux êtres accomplissent enfin leur destin par un seppuku d’amour.
 
nota bene : Ce conte-là, s’il fait référence au célèbre samouraï Minamoto no Yoshitsune, reste une fiction basée sur sa mort, en 1189.

Épinac, le 9 octobre 2023

[1] Les tengu sont des créatures légendaires au Japon, considérés comme des dieux shinto. Bien que leur nom contienne le mot “chien”, à l’origine, ils prenaient la forme de rapaces.
[2] Sabre court qui a la forme d’un katana légèrement courbe, d’une taille inférieure à 30 cm. On suppose que c’est ce type de lame qu’utilisa Yoshitsune.
[3] “Grand tengu”, considéré comme ayant été un érudit.