Gazette n°553
lundi 9 octobre 2023
inspirée par
“Contes pédérastiques de samouraïs”
de Saïkakou Ebara
De l’honneur de mourir amoureux.
YOSHITSUNE ET MYŌJARI
Minamoto no Yoshitsune, samouraï, se prépare à se donner la mort dans le château de Fujiwara no Motonari à Koromogawa, en 1189.
Son frère, Yoritomo, excédé par celui-ci a donné l’ordre de l’attaque.
— Yoshitsune sensei, puis-je t’assister ? demande Masashi, son serviteur.
— Non Masashi, je dois finir ici, seul... c’est le songe que j’ai reçu du tengu[1] de mon enfance.
Le serviteur, obéissant et résigné, s’en va en se retirant respectueusement.
Yoshitsune, resté seul selon son souhait, se met à genoux, prenant en main sa lame surnommée Imatsurugi.
Il lève pour la dernière fois la tête vers le ciel empourpré de cette fatidique fin de journée.
— Ô mon frère, tu es mon vainqueur, je suis honoré de t’offrir ma mort...
D’un geste lent et décidé, il va pour plonger la lame de son tantō[2] dans son ventre.
Lorsqu’une main à l’aspect de serres arrête son geste.
— Yoshitsune !
Fâché et tournant la tête vers l’être qui vient de l’interrompre, il essaye de voir. En contre-jour, il ne peut distinguer, se découpant sur le ciel, que la silhouette d’un être fantastique. Une tête et un corps à l’apparence humaine, pourvu de grandes ailes de rapace.
— Qui es-tu pour déranger mon sacrifice de cette manière ?
— Tu ne me reconnais pas ?
— Tu n’es qu’une ombre, tengu !
L’être se décale alors pour lui faire face se montrant à lui en se mettant à genoux.
— Je suis Myōjari, le daitengu[3] qui t’a appris l’art de la guerre lorsque tu étais encore un jeune guerrier.
Yoshitsune, retrouvant la joie de sa jeunesse, le prend dans ses bras.
— Ô Myōjari ! Mon aimé. Pourquoi es-tu venu m’empêcher d’accomplir mon destin ?
— Non, Yoshitsune... pour le partager.
Profondément troublé par cet amour si fort, que Myōjari veuille mourir à ses côtés, il ne peut retenir ses larmes.
— Mon beau tengu, je ne peux accepter ton sacrifice, même si mon cœur bat si puissamment de ton amour.
— Je t’en supplie, Yoshitsune, je ne peux continuer mon existence te sachant mort.
Ému par le ton doux et la ferme décision de son amant, il ne peut que céder.
Myōjari, toujours à genoux, en face de lui, prend son tantō qu’il avait à sa ceinture. Et dans un geste commun d’amour et d’intense tendresse, les deux êtres accomplissent enfin leur destin par un seppuku d’amour.
nota bene : Ce conte-là, s’il fait référence au célèbre samouraï Minamoto no Yoshitsune, reste une fiction basée sur sa mort, en 1189.
Épinac, le 9 octobre 2023
[1] Les tengu sont des créatures légendaires au Japon, considérés comme des dieux shinto. Bien que leur nom contienne le mot “chien”, à l’origine, ils prenaient la forme de rapaces.
[2] Sabre court qui a la forme d’un katana légèrement courbe, d’une taille inférieure à 30 cm. On suppose que c’est ce type de lame qu’utilisa Yoshitsune.
[3] “Grand tengu”, considéré comme ayant été un érudit.