L'idée de ce recueil est née de la mobilisation autour d'une salle de spectacle, Salle Jean Genet à Couches, pour montrer qu'il est possible de programmer de la culture en campagne, de qualité et accessible à tous. Pour ce faire, j'ai passé un an à croquer non seulement les spectacles, mais aussi la vie autour : résidences, ateliers, installations et moments de convivialité.

EXTRAIT



Frédéric Bobin et Mickaël Cointepas, “Les larmes d’or”



“Free big bears”, groupe rock solidaire lors de la journée de solidarité à l’Ukraine proposée par l’association “Les colibris de la liberté”

ISBN 9782851221254

Gazette n°555
vendredi 13 octobre 2023
inspirée par
“Crob'art sans plouc”
de Joël Nottaris
 
Il y a des cons partout, mais aussi...
 
L’HUMANITÉ
 
Malik, jeune homme syrien, rescapé du régime d’El Assad, poursuivi dans son pays pour ses goûts “contre-nature”, comme disent tous les sociopathes religieux, est arrivé en France après des mois et des mois de galères dans sa fuite.
Après avoir échappé à l’esclavage, au viol, à l’extorsion, il est enfin arrivé en France.
Assis sur le bord d’une route, non loin d’un de ces petits villages, il a sorti un calepin. Ce calepin est rempli de dessins de soldats en arme ou pas, de prêcheurs bavant de haine, du chef de l’État syrien, de généraux aux lunettes noires, de bourreaux aux mains ensanglantées... mais aussi d’enfants aux yeux perdus, de femmes allaitants leur bébé, de vieillards qui regardent le ciel... de tous ces humains, voulant échapper à la barbarie du monde.
Il allait prendre son crayon, quand une voiture s’est arrêtée. Une fenêtre s’est ouverte et la tête souriante de Jacques s’est penchée vers lui.
— Bonjour, vous êtes perdu ? Vous avez besoin d’aide ?
Malik a levé la tête ; depuis Alep, il avait perdu l’habitude qu’on s’adresse à lui si aimablement. Heureusement, ses parents lui avaient fait apprendre la “langue de Molière”, il savait comprendre, parler et même écrire dans cette langue lointaine dont on lui rabâchait la portée culturelle à tout bout de champ. Pour le moment, il n'en avait connu que le côté obscur, celui des gendarmes et de leurs commensaux, celui des “bons chrétiens” qui le vouaient aux gémonies, celui de ces gens qui par peur d’un soi-disant “grand-remplacement” l’avaient en haine.
Malik a souri, le cœur joyeux.
— Merci, oui, je suis nouveau en France et je ne sais comment survivre.
Jacques a ouvert la portière.
— Viens, on va en parler.
L’homme l’a accueilli chez lui, dans sa ferme transformée en pays de cocagne pour les “autres”. Un lieu simple en pleine campagne, dans un tout petit village.
Il lui a montré une chambre, ou ce qui en tenait lieu, parce que ça ressemblait à un atelier d’artiste touche-à-tout. Il y avait une planche à dessin datant du siècle dernier, un tour pour faire des poteries, des tubes de peinture çà et là, certains encore ouverts. Et sur les étagères, des sculptures de bois, de métal, des tableaux joyeux et d’autres tristes. C’était une grande pièce très haute de plafond, avec deux velux de chaque côté.
Enfin, un lit, un grand lit, avec une belle couette aux couleurs chaudes et trois gros coussins.
Malik a eu du mal à croire que ça existait encore un matelas, il se serait contenter d’une paillasse, ça aurait déjà été mieux que ce qu’il avait connu depuis son départ. Mais là... un lit !
Son cœur battit la chamade et il ne put retenir le besoin de montrer son infinie gratitude envers l’être humain qui lui redonnait cet espoir qu’il avait pratiquement perdu envers l’engeance maudite, cette race humaine qui entraine tant des siens dans les affres de la souffrance.
Il sauta au cou de Jacques, en pleurs et ne put dire que :
— Merci.
 
Épinac, le 13 octobre 2023