L’un des évènements les plus dramatiques du XIXème siècle naissant. Un scandale historique qui bouleversa la France et donna à l’histoire de l’art l’un des premiers tableaux “d’actualité”. Récit de l’un des survivants ; suivi de l’histoire de la conception de l’œuvre magistrale de Géricault.

EXTRAIT

“Naufragé de la Méduse, après une année de malheur et de privations, je rentrai dans le sein de ma famille, pour y rétablir ma santé délabrée, et attendre les ordres du gouvernement. Le souvenir des évènements désastreux dont j’avais été victime et témoin, occupait souvent ma pensée ; mais certes j’étais loin de prévoir que je mettrais un jour le public dans ma confidence, et que j’armerais de la plume une main qui n’a connu que l’épée. Tout à-coup les trompettes de la renommée se font entendre, et portent le nom de MM. Savigny et Corréard jusque dans le fond de ma province ; les journaux ne parlent que de la Méduse, de son naufrage et de l’infortuné radeau.”

ISBN 9791094773581

Gazette n°557
mercredi 18 octobre 2023
inspirée par
“De la Méduse... à Géricault”
de Paulin d'Anglas et Charles Clément
 
On peut toujours faire pire...
 
À BORD DU ZONG
 
— Capitaine Collingwood ? On a un sacré problème.
— Je vous avais suspendu, Monsieur Kelsall !
— Oui, mais permettez-moi d’insister, nous avons vraiment un gros problème.
— Voyez ça avec Monsieur Stubbs, je suis trop mal en point pour m’occuper du navire. C’est lui qui me remplacera.
James Kelsall, le second, referme la porte de la cabine.
Depuis quelques jours, les ressources en eau s’épuisent sur le Zong. Et le port de Black River en Jamaïque est encore loin.
Le second frappe à la porte de la cabine de Monsieur Stubbs.
— Oui ?
James Kelsall a la tête des mauvais jours.
— Le capitaine Collingwood est malade.
— Et alors ?
— Il vous a nommé à sa place.
Stubbs un peu étonné, se lève, son pied butte sur la bouteille vide de mauvais whisky qu’il vient de finir, la faisant rouler sous son lit.
Un peu titubant, il essaye de prendre un air pénétré de sa fonction.
— Bien, bien.
— Comme je voulais en informer Monsieur Collingwood, nous avons un gros, gros problème.
— Merde... lequel ?
— Nous n’avons plus assez d’eau pour l’équipage et pour la marchandise avant d’accoster à la Jamaïque.
Le nouveau capitaine Stubbs se laisse tomber sur sa chaise, terrasser par les nouvelles responsabilités qu’il vient de recevoir.
— C’est bien ma veine, à peine reconnait-on mes compétences... à peine on me chie dans les bottes. Depuis Cape Coast au Ghana, je suis poursuivi.
Stubbs, toujours assis, met sa tête dans ses paumes, submergé par la décision qu’il doit prendre.
— Alors capitaine, que fait-on ?
— Je réfléchis.
Il relève la tête, las ; allonge le bras vers un autre flacon du même liquide ; la débouche avec ses dents et se verse dans le gosier une large lampée.
Le second, au fait de la réputation de cet alcoolique patenté, attend patiemment de recevoir ses ordres.
Reposant la bouteille, le capitaine semble avoir la solution.
— Vous allez jeter à la mer la moitié de la cargaison.
Kelsall a l’air abasourdi par ce qu’il vient d’entendre.
— Jeter à la mer la moitié ?
Le capitaine Stubbs le regarde d’un air mauvais.
— À moins que vous ne vouliez, vous et l’équipage, vous sacrifier en sautant par-dessus bord ou en arrêtant de boire.
À ce dernier mot, le second réprime un sourire narquois en regardant la nouvelle bouteille de whisky déjà à moitié vide.
— Mais nous allons perdre de l’argent si nous faisons ça ?
Le capitaine plonge un œil torve dans les yeux de son second.
— Nous serons remboursés par les assurances !
Décontenancé par un tel projet, mais devant obéir à l’ordre donné, d’un pas lent, James Kelsall va porter l’ordre à l’équipage de jeter à la mer la moitié des esclaves noirs qui devaient être livrés à bon port.
 
Note : cet épisode est une histoire vraie, un fait de crime contre l’humanité, à la fin du xviie siècle... connu sous le nom de “Massacre du Zong”, en 1781. Un tableau de William Turner a illustré ce fait : “Le négrier” (The Slave Ship).
 
turner, the slave ship, le négrier, esclavage

Épinac, le 18 octobre 2023