Une longue lettre d’un homme attristé par l’attitude lamentable de son ex-compagnon. Un créateur de génie victime de sa passion pour ce jeune homme de la noblesse anglaise, hautaine et prétentieuse.

EXTRAIT

“Cher Bosie,

Après une longue et vaine attente, j’ai décidé de vous écrire, autant dans votre intérêt que dans le mien, car il me serait pénible de penser que j’ai subi deux longues années d’emprisonnement sans avoir reçu de vous une seule ligne, la moindre nouvelle, ni même un message, à l’exception de ceux qui m’ont affligé.
Notre lamentable et fatale amitié s’est terminée pour moi par la ruine et la honte publique, mais le souvenir de notre ancienne affection est souvent avec moi et je m’attriste à l’idée que le dégoût, l’amertume et le mépris pourraient prendre à jamais dans mon cœur la place que l’amour y tenait naguère. Et vous-même, je crois, sentirez dans votre cœur que mieux vaut m’écrire tandis que je me consume dans la solitude de la vie de prison que publier mes lettres sans ma permission ou me dédier des poèmes sans me le demander, alors que le monde ne saura rien des expressions de douleur ou de passion, de remords ou d’indifférence qu’il vous plaira de choisir pour votre réponse ou votre appel.”

ISBN 9782851220493

Imaginaire n°558
vendredi 20 octobre 2023
inspirée par
“De profundis”
d’Oscar Wilde
 
DERRIÈRE LA PORTE
 
Il était écrit sur la porte en face de moi, la phrase célèbre “Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance”. Plus que la sentence en elle-même, c’est la matière qui servit à l’écrire qui me plongea dans une frayeur indicible. J’approchai la main pour tenter de me persuader que ce n’était pas ça.
Quand la peau de mes doigts a effleuré la couche de cette chose... des frissons ont parcourus mon échine tremblante. Je ne voulais pas savoir.
J’ai poussé la porte. Je m’attendais à des grincements lugubres.
Mais rien.
Aucun son, en fait.
Des profondeurs de cet endroit plongé dans une obscurité totale, j’ai entendu le souffle d’une voix qui m’a glacé les entrailles.
« Clamavi ad te, Julius ! »
— Qui a parlé ? ai-je crié. Pourquoi m’as-tu pleuré ?
On m’avait appelé par mon prénom. Comment cela pouvait-il être possible puisque personne ne pouvait plus le connaître... tous mes familiers étaient morts depuis tellement longtemps.
— QUI A PARLÉ ? ai-je gueulé.
« Ex profundis anima tua. »
— De mon âme ? Pourquoi ?
J’étais en proie à un mélange de fureur et de peur irraisonnée.
« Obliviscaris ! »
— Qu’est-ce que j’oublie ? Mais bordel de merde... qui es-tu ?
« Conscientia tua. »
J’étais sous le choc... “ma conscience” ? Qu’avait à faire ma conscience ici ?
Je me suis assis par terre. Le sol était frais et doux.
“Tiens, de l’herbe”, ai-je pensé.
J’ai posé mes mains sur le sol ; je voulais avoir confirmation de ma première impression. C’était autre chose que de l’herbe, mais je ne savais pas ce que ça pouvait être. Et pour tout dire, je n’avais pas trop envie de savoir ce que c’était.
Le souffle a repris.
« Clamavi ad te, Julius ! »
J’ai pris ma tête dans mes mains.
« Memento, Julius ! »
J’ai bien essayé de me souvenir. Des images de mon passé ont ressurgies alors.
Je commençais à me souvenir... avant d’être devant cette porte à la sombre sentence. Oui, je me souvenais maintenant... d’avant !
“Jacques !” ai-je crié dans ma tête. Il voulait me quitter pour un autre.
« Meministi nunc ? »
— Oui, je me souviens ! J’ai pété un plomb. Je l’ai tué !
« Clamavi ad te, Julius ! »
— Moi aussi.
J’étais accablé. Je n’avais pas supporté qu’il me quitte... il avait déjà une grosse valise à la main et il me tendait le trousseau de clefs que je lui avais donné dès notre premier jour. Je ne comprenais pas pourquoi il voulait partir. Nous étions heureux tous les deux ; on avait des projets communs. J’ai bien essayé de faire fléchir sa détermination à partir. Je ne voulais pas rester seul dans cette maison. J’avais pris un couteau, celui du gigot, et je le lui avais planté dans le cœur en le regardant droit dans les yeux. Je lui ai dit toute ma haine... à mon amour.
Je me souviens d’après :
J’ai planté le couteau dans mon ventre.
« Clamavi ad te, Julius ! »