Imaginaire n°561
vendredi 27 octobre 2023
inspirée par
“Des fables et des gens”
de Léonard de Vinci
Il y a aussi des fables historiques.
LE SOURIRE
“Il senior Piero da Vinci,” pense Maria De Mattei di Firenze, “ce nom-là me dit quelque chose.”
Devant elle, un homme bien mis, à la mode des gentilshommes de son époque, souriant et pourtant un rien inquiétant.
— Bonjour signorina, j’aimerais acquérir une jeune beauté.
Les Mattei de Florence, établis depuis longtemps comme marchands d’esclaves, sont renommés de toute la Toscane pour leurs “marchandises”, et fort appréciés des riches familles.
— Bonjour ser Antonio. Je crois avoir celle qui vous satisfera, une jeune fille d’origine circassienne.
La dame laisse quelques instants le jeune Pietro et revient avec une fille très belle, fine et fort agréable à regarder. Un sourire indéfinissable sur ses lèvres laisse entrevoir une part de mystère profond.
— Magnifique, j’approuve votre proposition. Parle-t-elle italien correctement ?
— Tout à fait parfaitement, ser Antonio.
***
— Comment allons-nous nommer l’enfante-let, Antonio ?
— Patrizio, cela pour qu’il n’oublie pas ses racines. Qu’en penses-tu ?
— J’avais pensé à un prénom évoquant la jovialité, joueur et aussi fougueux.
Pietro Da Vinci , toujours bienveillant en-vers son ex-esclave qu’il a affranchi à la naissance de son fils, la regarde interrogateur.
— Tu pensais à un prénom en particulier Caterina ?
— Oui... Léonardo.
Antonio réfléchi quelque peu en regardant les yeux bien ouverts, curieux, lumineux même, de son enfant.
— Je crois que tu as raison, ma toute belle. Dimanche, nous le baptiserons... Léonardo, mais je ne peux le reconnaître officiellement, et j’ai pensé te marier avec l’un de mes locataire et ami... Antonio del Vaccha. C’est un homme rude, mais honnête travailleur.
La jeune mère, qui savait bien que la position sociale du père de son enfant, lui inter-disait un mariage hétérogame, soupir malgré tout.
— Oui ser Piero...
— Allons, allons, ma douce... ne m’en veut pas, tu verras, toi et mon fil ne manquerez de rien. Si le coït se fait avec grand amour et grand désir l’un de l’autre, alors l'enfant sera de grande intelligence et plein d'esprit, de vivacité et de grâce.
Caterina a de nouveau ce sourire énigmatique qui avait tant touché Antonio la toute première fois où il l’avait vu.
— Merci mon cœur.
***
— Mona, s’il te plaît, j’aimerais que tu me souries moins.
— Mais tu m’as demandé de sourire tout à l’heure, Léonardo.
— Je sais, mais pas comme une femme cherchant à séduire... plutôt... comment dire.
— Un sourire indéfinissable ?
Léonard, cette fois silencieux, repense à ce jour triste de 1496, où le sourire de sa mère s’est éteint à tout jamais... ce sourire qu’il voudrait retrouver de sa mère dans ce tableau qu’il ne réussit pas à finir, depuis de si longues années.
— Oui... c’est cela... “in-dé-fi-ni-ssable”.
Léonard, cette fois silencieux, repense à ce jour triste de 1496, où le sourire de sa mère s’est éteint à tout jamais... ce sourire qu’il voudrait retrouver de sa mère dans ce tableau qu’il ne réussit pas à finir, depuis de si longues années.
— Oui... c’est cela... “in-dé-fi-ni-ssable”.
nota bene : le Professeur Carlo Vecce, l’un des plus grands spécialistes de Léonard de Vinci a en effet émis la thèse de l’origine sociale de la mère de Léonardo da Vinci, Caterina, comme étant probablement une esclave circassienne, vendue et revendue plusieurs fois à Constantinople puis à Venise. Finalement achetée par le père de Léonard, qui l’affranchira après avoir eu un enfant d’elle. C’est cette thèse qui sert de fond à cet Imaginaire.
[1] “Ser”, contraction du latin “senior” (“signore”), petit titre pour les notaires et les prêtres.
[2] Du nord du Caucase.
[3] De son nom complet : Ser Piero d’Antonio di ser Piero di ser Guido Da Vinci.
[4] De classes sociales différentes.
[5] Cette dernière phrase est de Léonardo même.