Il y a dans l’argot l’histoire de tout un monde, il y a la psychique de tout un peuple qui pense, croit et agit tout contradictoirement à nous, de même qu’il parle une autre langue que nous, une langue difficile à saisir, en dépit de tous les dictionnaires, parce que sa mobilité est en raison directe des efforts faits par les profanes pour la pénétrer.
Je n’ai ni le temps, ni l’autorité qu’il siérait pour essayer d’écrire, en tête de ce livre, le Commentaire qu’il faudrait. Je ne veux, je ne puis que tenter quelques considérations sur ce qu’est l’argot, au point de vue philologique, et sur la manière dont se forme et se déforme, encore aujourd’hui, ou plutôt se transforme en se déformant ce vocabulaire d’une richesse si colorée et si sapidement et intensément pittoresque.
(extrait de la préface de Léo Trezenik)

EXTRAIT



Vise au trèfle (dessin Creseveur)
© Denis éditions

VISAGE SANS NEZ Le derrière. C’est un visage qui n’est pas désagréable à voir, surtout lorsqu’il est blanc, jeune, dodu et ferme. Voiture était de cet avis : …Ce visage gracieux Qui peut faire pâlir le nôtre, Contre moi n’ayant point d’appas, Vous m’en avez fait voir un autre Duquel je ne me gardois pas. Ce visage a l’avantage sur l’autre de ne pas faire de grimaces (Argot du peuple).
VISCOPE Casquette à longue visière, comme en portent les gens faibles de la vue. Un képi de troupier se nomme également une viscope. On dit aussi un abat-jour (Argot du peuple).
VISE AU TRÈFLE Infirmier ou infirmière. L’allusion est amusante (Argot du peuple).

ISBN 9791094773482

Imaginaire n°563
mercredi 1er novembre 2023
inspirée par
“Dictionnaire d’argot du siècle”
de Charles Virmaître

Les dictionnaires ont leur utilité.

CHERCHE TRADUCTEUR, LIBRE DE SUITE

— Le blème c’est qu’j’entrave nib.
— Tu gagnes l’antif, risot, j’te suis... avec sa babillarde on n’entrave dalle !
— Cependant, messieurs, vous m’en voyez contrit, mais ma phraséologie n’est pas abstractive, lorsque j’énumère les licences qui nous permettraient de déclore le coffre de l’agence de la CUCU (Coopérative Urbaine de Crédit Usuel, NdA).
— T’es un gadjo, et tu rappliques ta fraise sacom, tu nous gonfles le mou en tirant ton plan d’branque.
Julien-Amédée de la Motte est pourtant un tireflar tout ce qu’il y a d’honnête, enfin... dans sa partie ! Son pedigree parle pour lui, mais les deux autres sont un rien méfiants.
— Considérez néanmoins l’ébauche de l’hypothèse. C’est tout bonnement un axiome ! Si vous suivez le précepte que je vous prodigue, je suis fondé dans ma résolution. Et j’ai pourtant étayé le linéament de cette entreprise. Je ne saisis pas vos réticences.
— Fracheté, ton jar c’est du borgne.
— J’rembine avec Paulo tu sais, tu causes pas norm’ et natürlich, on s’gaffe.
— J’entrevois votre dilemme, chers acolytes. Vous noterez malgré tout que Dédé la rillette me parraine dans mon dessein.
— Dédé la rillette ! C’est vrai qu’c’est pas un lézard, il est bourré à la madrice et l’est plutôt marlousier...
— Ouaip ! C’t’un marpaut d’première, il a défouraillé sur le holà du XVe dans son poulailler !
Les deux hommes se fendent la poire devant l’autre, médusé.
— Tirer sur un représentant de l’ordre dans son propre commissariat, n’est peut-être pas la chose la plus sensée ! Mais il est vrai qu’il n’a pas fatalement démérité, et cette extravagance est absoute par la duplicité du quidam en question.
— Tu loches, Toine, y a l’grand qui nous débine sa fargue.
— Y s’rait en train de nous faire une postiche le costard à roulettes ?
— Que nenni, messieurs, diantre ! Loin de moi cette fantaisie. Le sieur Dédé est un ami de longue date.
Paulo et Toine sont comme deux ronds de flan. Ils se regardent, éberlués.
— Depuis quel bout ?
— Depuis... le collège diocésain des Frères de Sainte-Marie des Loches.
Si leurs mâchoires avaient pu tomber, elles auraient chu sur la table.
— Comment ça ? Dédé chez les corbeaux... tu nous fais une balançoire !
Julien-Amédée de la Motte, voyant l’impasse dans laquelle il se trouve avec ces deux margoulins, se décide à jeter l’éponge.
— Du tout, du tout... bon... chers compagnons, je vais clore sur ce notre encontre. Je vous souhaite bonne réussite dans vos futures extorsions.
Il se lève, laissant là Paulo et Toine en train de sourire narquoisement.
— Y nous a fait un d’ces grelot l’biffard, on a fini par le dégluer.
— C’est bono... on va tous les deux se faire le pagave, hein Paulo ?
— Je veux !

***

Entrefilet paru dans “Le journal de Saône et Pinard” :
“Deux malfrats ont été arrêtés ce matin devant le coffre de la succursale de la Cucu à Bagnolette-lès-Roules. Malheureusement, personne n’arrive à comprendre leur idiome. Le commissaire Judel est à la recherche d’un traducteur.”