Si c’est le dernier duel judiciaire en France, c’est aussi la plus célèbre des premières victimes de viol qui se rebella contre l’ordre mâle. Voici deux versions du même crime, deux versions de contemporains.

EXTRAIT

“[...] Il faut blâmer la conduite de ces hommes, dont l’esprit trop crédule, semblable aux feuilles légères qui tournent à tout vent, se laisse abuser par des rapports incertains, et qui sur la foi de ces vains bruits courent aveuglément à la vengeance. C’est ce que prouve d’une manière frappante le duel de messire Jean de Carrouges avec Jacques dit le Gris, qu’il accusait d’avoir outragé sa femme.
On s’élevait avec d’autant plus de force contre cette indigne trahison, qu’ils étaient tous deux originaires de Normandie et attachés à la cour du comte d’Alençon, et que depuis leur jeunesse ils avaient été liés par la plus étroite amitié. On disait qu’en succombant dans la lutte Jacques avait été justement puni, et l’on plaignait la dame qui avait été flétrie dans son honneur.”

ISBN 9782851220912

Imaginaire n°567
vendredi 10 novembre 2023
inspirée par
“Duel pour un viol”
de Jean Froissart et Michel Pintoin
 
Un moyen de faire entendre raison ?
 
LA HAINE ET L'ENFER
 
Octobre 1541, Arequipa, non loin du volcan éteint Pichu Pichu, dans la Cordillère Occidentale. Le roi d’Espagne vient par décret royal, en septembre, d’appeler ainsi cette belle cité inca, que l’on nommait Ari-quepay.
C’est un prêtre dominicain, nommé par l’Inquisiteur général Fernando de Valdés y Salas en cette région, dont le nom oublié ; Francisco del Olvido ; est à l’origine de cette histoire...
— Père Francisco !
— Oui... je sais, cela va déplaire à la populace ; mais il faut qu’ils apprennent qu’il n’y a qu’un seul dieu ! Le culte à ce volcan est une offense à la foi.
Günther Ramirez, mercenaire d’origine germanique, ancien compagnon de Pizarro avec qui il s’est fâché, est très remonté contre ce prêtre aussi intransigeant que le conquistador.
— Qu’est-ce que dieu a à faire de cette montagne ! Ces gens, durant des siècles, ont prié le Pichu Pichu... et alors ? C’est un peu comme un Saint !
— Senior Ramirez, faites attention à votre langue... c’est un conseil. Pour l’instant, je ne veux rien retenir. Mais n’allez pas trop loin. Ma bonté a des limites.
Günther se tait, mais ce dominicain lui sort par les oreilles.
Le représentant de l’Inquisition a organisé une procession de gens énervés, de fanatiques et de pilleurs. Prenant la tête du cortège, il tire devant lui Manco Huaqui, un résistant à l’envahisseur espagnol.
— Allons mes frères ! Chantons la gloire de notre seigneur. Nous allons châtier ses hérétiques... à commencer par celui-là !... Allez, chien, avance !

***

C’est au retour de cette... expédition que cela s’envenima. Günther, excédé par cette arrogance religieuse, ne put retenir son ire.
— Vois-tu mercenaire, nous avons bien fait de brûler cet esclave sur les hauteurs. Je suis sûr que notre seigneur en a bien goûté les effluves.
— Ç’en est trop maintenant ! Tu n’es qu’une sale engeance, un furoncle... curé !
Au même instant, il dégaine son épée, allant sus en se jetant sur le Père Francisco.
Cependant, ce dernier, sentant bien l’animosité du soldat envers lui, avait la main sur sa propre rapière.
— Holà ! fit-il en esquivant l’attaque.
— Je vais te transpercer... curé !
L’un en face de l’autre, l’arme pointée sur son adversaire, le regard haineux de l’inquisiteur croise celui, non moins hargneux, de Günther Ramirez.
— Ne m’épargne pas, aventurier... car moi je te ferais payer ton insolence !
La fureur du combat alerte quelques serviteurs... esclaves incas. Ces derniers, autour de la pièce, à bonne distance, les bras croisés, regardent impassiblement la dispute.
— Que faites-vous ! crie le prêtre, emparez-vous de ce fol... c’est un ordre !
Alors qu’acculé contre un mur, Francisco, s’aperçoit des sourires narquois de ces spectateurs impavides.
— Tu vas rejoindre les flammes de l’Enfer... curé !
La pointe effilée de l’épée du mercenaire, s’enfonce dans l’orbite droite de l’inquisiteur, le faisant crier comme un goret avant de rendre l’âme dans un dernier soupir.
Günther, nettoyant le fil de son épée sur la manche de son pourpoint, regarde ironiquement le cadavre du prêtre.
— Tu ne violeras plus ce peuple... curé !