Imaginaire n°568
lundi 13 novembre 2023
inspirée par
“Promenades accompagné”
d’Olivier Hervy
Il y a des promenades dont on se passerait bien.
L’ELDORADO
Prison fédérale de Blackfield, en Oregon. 2034, c’est un automne chaud. Très chaud. La situation des migrants, venus par les côtes du Pacifique pour simplement accoster dans l’État indépendant de Californie, sont quelquefois les victimes de trafic d’esclaves... et sont débarqués bien plus loin au nord.
Miguel Rodriguez, informaticien mexicain, a tenté de joindre “l’Eldorado” ; pensant pouvoir travailler chez Gogole, dans la Silicone Vallée.
Et le voilà dans ce “Centre de tri”.
La cellule s’ouvre, laissant passer un rayon de soleil dans ce trou à rats où s’entassent les “À trier”.
Le garde reste sur le pas de la porte, les jambes écartées, les poings sur les hanches, regardant, la mâchoire crispée, ces paquets humains d’un air froid.
— N°5412 !…
Seul un silence apeuré lui répond.
— N°5412 ! Répète-t-il en criant.
Un petit homme se fraie un chemin parmi ses codétenus. Il se positionne, tremblant, devant le garde.
— C’est moi, monsieur.
Le garde lui assène une claque qui lui fait presque perdre l’équilibre.
— Espèce de chien ! J’aime pas me répéter. Mets-toi à genoux.
Obéissant à l’injonction, il s’exécute.
L’autre sort un collier de métal, un large collier, lourd et froid, et enferme son cou. Il attache une chaîne à l’anneau.
— Tu vas me suivre.
Sans attendre aucune réponse, le garde donne un coup sec sur la chaîne.
— Allez ! Viens, tu vas faire une petite promenade.
***
Dehors, il fait plus chaud que dans la cellule, et le soleil brûlant a transformé depuis quelques années la campagne en toundra aride.
À la sortie du bâtiment, Miguel doit suivre le garde dans un couloir, entre deux murs de haut grillage. Il n’y a personne, juste lui et l’autre.
Alors qu’il marche derrière son tortionnaire, il essaye de ne pas choir en tirant légèrement sur la chaîne, trop courte. Il “traîne” un peu.
— Holà n°5412 ! Avance un peu mieux, tu vas pas jouer très longtemps la feignassse.
— La chaîne est trop courte, monsieur, dit Miguel, implorant.
— Ta gueule ! T’es pas là pour donner ton opinion...
Miguel, sentant que celui-là reste insensible à sa supplication, préfère se taire. Pourtant, il se demande bien pourquoi lui fait-on faire cette “promenade”, seul. Où le conduit-on ?
À peine a-t-il pensé cela, que le garde lui en donne la réponse.
— Tu vas servir... pour le bien de la communauté, à une petite expérience.
Le cerveau de Miguel lui déverse alors des images cruelles ; de ces images que l’on voit sur le réseau social débridé de ce proche du président DeSantis[1], Elon Musk.
Il regarde à droite, il regarde à gauche, il ne voit toujours personne au-delà du grillage. Une idée folle traverse son esprit : “Je dois, le tout pour le tout, fuir cet enfer.”
D’un mouvement rapide, il se sert de la chaîne pour l’enrouler autour du cou du garde.
Celui-là, surpris par cette attaque soudaine, essaye de pousser un cri pour alerter... en vain.
Miguel est maintenant sur lui et décoche une série de coups de poing du plus fort qu’il peut, jusqu’à ce que le garde perde connaissance.
Exténué, il s’effondre sur le ventre du garde, inerte. Puis essayant de reprendre ses esprits pour penser, il cherche éperdument la clef de son collier, toujours relié à la chaîne tenue par la main du garde.
Il la trouve enfin et se libère.
À califourchon sur sa proie, il lève la tête, comme pour remercier le ciel de cette victoire.
C’est à cet instant, et à peine s’était-il aperçu que le grillage lui barrait la route de la liberté... qu’il a vu arriver un petit groupe de trois personnes... de l’autre côté de cette barrière.
Miguel, a du mal à en croire ses yeux, toujours dans la même position, il reste bouche bée.
— Salut, frère, lui dit une femme aux longs cheveux noirs et aux yeux rieurs, attends, nous allons t’aider.
Aussitôt, un autre a sorti une énorme pince et s’est mis en devoir d’y faire un trou.
Il n’a heureusement, pas fallut longtemps pour procéder. C’est alors que Miguel, ayant totalement retrouvé ses esprits, et après s’être faufilé entre les mailles de métal, qu’une sirène stridente perce le silence de cet enfer.
— Partons ! lui crie la jeune femme.
Tout en courant, elle s’adresse à lui.
— Au fait, je suis Iléna... et toi ?
— Miguel !
Elle lui sourit.
— Et que faisais-tu là emmené par cette merde ?
— J’étais en promenade... accompagné !
[1] Élu en 2032, après l’assassinat de Donald Trump, en 2031, durant son second mandat après sa victoire écrasante de 2024 contre Joe Biden.