Une histoire d’une des plus longues rue de Paris, au travers de quelques anecdotes oubliées. Marie-Aimée Latournerie nous livre ici un ouvrage rare et emprunt de nostalgie.

EXTRAIT

“La plaine de Grenelle est l’œuvre d’un méandre de la Seine… à supposer d’ailleurs que ce soit la Seine qui traverse Paris puisqu’au confluent à Montereau, le débit de l’Yonne est, selon certains, supérieur à celui du fleuve dont cette rivière capricieuse, venant du Morvan, est censée être l’affluent. Faire le tour à pied de cette plaine est un voyage d’environ trois heures dans l’espace et de plusieurs siècles dans le temps.”

ISBN 9791094773543

Imaginaire n°577
lundi 4 décembre 2023
inspirée par
“Grenelle”
de Marie-Aimée Latournerie
 
Il y a des réunions... mouvementées.
 
HAUT LES CŒURS !
 
— Salut Pierrot, dis, comment vont les affaires ?
— Avec la maison Poulaga dans les parages depuis l’arrestation de Jacquot, c’est duraille !
— Ouaih, t’as raison, frangin. J’ai réussi à échapper de peu à la flicaille l’aut’ jour quand j’embrouillais un épicemar.
— Tu sais c’que j’entrave ?
— Non... quoi donc ?
— Y a une casserole sur le feu !
— Un baveur ?
— Comme j’te l’dis, mon poto. Une balance dans la brochette.
— Parmi nouzingue ?
— Je veux, Marcel !
— On fait quoi alors ? Pasque le turbin qu’on prépare demande de la prép’... faut mettre de l’huile !
15 novembre 1908, au n°102 de la rue de Grenelle[1], les nouvelles Brigades mobiles du ministre Clémenceau sont en planque, alentour.
— Le directeur Hennion a été mis au parfum, commissaire ?
— Parfaitement... mais silence ! Voilà deux autres agneaux allant à l’abattoir.
Le commissaire Jules Sébille, premier chef de ces “Brigades Mobiles”, a un sourire carnassier, tandis qu’il regarde deux hommes pénétrer dans l’immeuble.
Les deux hommes, bien mis, chapeau mou sur le crâne et long manteau, montent au 3ème étage.
Le plus grand toc à la porte où est inscrit d’une écriture moqueuse “Ci-gîtent les Cœurs Unis de Grenelle”. La porte s’ouvre.
— Tiens, salut l’énervé !
— M’appelle pas comm’asse, s’tu veux Marcel... ça m’défrise ! C’est Rémy, et si t’es pas jouasse...
— Okay, okay man, keep cool !
Pierrot, derrière lui, commence à rire.
— Faut toujours qui baragouine l’engliche l’Marcel !
— Yes Mister !... Allez entrez, vous deux, on a des choses à accoucher.
— On n’attend pas les autres, Marcel ? demande le dernier, Jules.
— Non, ça r’garde not’ coin à particule, les autres, c’est pas leur baloche.
La porte se referme.
Dans les parages, les hommes du commissaire Sébille s’impatientent un brin. Il fait froid, et en plus, il commence à pleuvoir. De cette petite pluie fine de fin d’automne.
— Commissaire, on attend quoi ?
— Le mouton noir, mais d’abord y a le reste de la bande qui doit venir.
— Ils sont combien ?
— Une vingtaine... au moins, d’après ce qu’a cafté Ursule... Merde ! Il se pointe déjà... le con ! Bon, on peut rien faire, j’espère qu’il donnera le change.
— Pourquoi ?
— Parce que les donneuses, ça fait pas de vieux os chez les apaches.
— Vous voulez dire que l’Ursule a bien voulu y aller ?
— Il avait pas l’choix... on tient son petit copain... enfin, quand j’dis son “p’tit copain”... c’est plutôt son rouspant.
— Il est prostitué cézigue ?
— Pas qu’un peu ! L’autre s’appelle Monsieur Jean. Il fait semblant d’être de la haute, mais en fait c’est un marlou de première... ‘tention ! Il arrive. Chut !
Un petit jeune homme, à peine d’une trentaine d’années, s’avance vers la porte de l’immeuble. Il regarde autour de lui, comme pour vérifier quelque chose.
Il réajuste sa cravate, se racle la gorge, et pousse la porte d’entrée.

***

Ursule est attaché à une chaise, dans le salon de l’appartement du troisième. Il a la bouche en sang et déjà un coquart bien marqué.
— Tu vas lâcher l’morceaux rivette ! crie Pierrot en lui mettant une baffe.
— J’vous jure, je sais rin ! C’pas moi qu’est donné la bande.
— Putain, j’te jure, elle m’défrise la poule à vermicelle.
Rémy, fidèle à sa réputation d’énervé, sort son flingue et le pose sur le crâne du jeune homme qui le regarde d’un air d’effroi.
— Fais pas l’con, Rémy ! Bordel !
— Faut qu’j’défouraille... y pas !
Joignant l’acte à la parole... un bruit assourdissant brise le silence de cette nuit-là... le corps sans vie s’affaisse sur sa chaise.
Quelques instants plus tard, alerté par le coup de feu, toute la smala de la 1ère Brigade Mobile déboule dans les escaliers. Les portes s’ouvrent sur des visages hagards.
— Y’s’passe quoi ? demande le locataire du deuxième.
— Rentrez chez-vous... opération de police ! crie le commissaire qui fuse dans la cage d’escalier, quatre à quatre.
D’un coup d’épaule, il défonce la porte du troisième, flingue en pogne.
Surpris par le bruit de la cavalcade, mis à part Rémy, les trois autres cherchent à s’échapper.
Rémy, se précipite vers l’entrée de l’appartement avec son joujou pointé. Manque de bol, Jules Sébille plonge à terre, comme à l’entraînement et tire.
Rémy, qui a reçu la balle en plein front, s’écroule sans avoir pu même tirer.
Le reste de la Brigade rentre en force et arrête les comparses n’ayant pas pu se faire la belle.
— Le brigadier Longtarin s’approche du commissaire, qui satisfait, sort sa pipe.
— Ben... là on n’aura pas eu toute la bande, commissaire.
— C’est pas grave... on attendra le prochain Grenelle des voyous !

[1] En fait, c’est en octobre 1901 que la police fit irruption dans l’immeuble du n°102 de la rue de Grenelle pour y appréhender quelques membres de cette bande qui fit parler d’elle jusqu’en 1913.