Autour de là où nous habitons se trouvent des lieux auxquels nous sommes habitués, mais qui ne sont pour les autres que de simples noms sur une carte ou dans un guide touristique, et pourtant ils ont tant de choses “qui nous racontent”.

EXTRAIT

“[...]
L’écureuil saute de branche en branche. Plus loin il est aussi là, immobile sur le tronc du tilleul. Ils sont plusieurs, l’écureuil du petit parc Turpaud.

Bien qu’elle soit vide de ses oiseaux depuis des années, la volière du petit parc Turpaud est fermée avec un cadenas.

Fin août. Le platane du petit parc Turpaud prend le soleil de midi depuis juillet. Grandes plaques d’écorce au sol : il pèle.

Dans un coin du petit parc Turpaud, huit bouleaux serrés évoquent la forêt de Sibérie. À qui a beaucoup d’imagination.”

ISBN 9782851220639

Imaginaire n°579
vendredi 8 décembre 2023
inspirée par
“Promenades autour de chez moi”
d'Olivier Hervy
 
Le temps et l’espace d’un instant.
 
MIYAZAKI
 
À Soyamisaki, dans l’île d’Hokkaidō, au point le plus septentrional du Japon ; il y a une petite maison dans cet endroit oublier des dieux, juste quelques maisons de reclus et de pêcheurs. Ce mois de janvier 1532, Keisuke Imaru, écrivain, illustrateur et ingénieur décrié, qui a pris ses distances d’avec sa famille avec sa fille de neuf ans, Miyazaki, en ce lieu perdu, est en train d’écrire.
Une idée lui trottait dans la tête depuis si longtemps. Une idée folle, mais qui faisait bouillonner son imagination.
Il y a quelques années, il avait rencontré un moine portugais, Fernando da Silva. Celui-ci lui avait parlé de cet homme, un certain Léonardo da Vinci.
“Il a inventé une machine volante”, lui avait-il annoncé “Une machine qui fait voler ? Mais c’est impossible !” avait-il répondu alors. Mais cette nouvelle n’avait cessé de perturber ses nuits.
“Et si... comme les grands navires qui traversent les océans, un jour, on pouvait se transporter en nombre dans de grandes nefs volantes ?”
Ce concept complétement fou l’avait fait passer pour un fou auprès de sa famille ; et celle-ci l’avait rejetée, à force. Même il s’était mis à dessiner ce qu’il “voyait” en imagination.
À bout d’argument, il avait préféré, après la mort de sa douce et adorable femme, Akemi, s’exiler avec Miyazaki. Partir loin de ses esprits obtus et prétendument pragmatique. “Que savent-ils donc de l’avenir ces petits cerveaux étriqués ?” se rassurait-il avant de partir.
Fiévreusement, penché sur son écritoire, il laisse aller ses pensées.
Soudainement, il entend un bruit tonitruant, un fracas extraordinaire. Il lève la tête et voit à travers la fenêtre, en un instant, une lumière aveuglante au-dessus de la mer... puis plus rien. Une fraction de seconde, l’éclair avait embrasé le ciel pour retourner à l’obscurité immédiatement.
Il se lève, se rapproche des carreaux gelés, collant presque son nez dessus. Il écarquille les yeux pour essayer de distinguer quelque chose. Mais rien. L’encre de la nuit est vide.
Il se rassoie et se remet à son écriture.
Mais encore une fois il est dérangé. Un cri cette fois ; un cri d’enfant... il reconnaît immédiatement la voix de Miyazaki.
Précipitamment, il va à la chambre de la petite.
Son lit est vide, défait, mais vide.
— Miyazaki ! Miyazaki ! Où es-tu ma fille ? appelle-t-il.
Mais un second cri perce alors. Cette fois, il a bien entendu ; ça vient du dehors. Mais que fait sa fille à l’extérieur, par ce froid-là ?
Un sentiment de peur et de honte le submerge ; comment a-t-il pu ne pas être attentif ?
Il court, se précipite à la recherche de sa fille, éperdument, il cherche dans la nuit noire. Il ne voit rien.

***

1er septembre 1983[1], Soyamisaki.
En cette fin de journée, alors que le crépuscule inonde le ciel de ses couleurs, un bruit assourdissant venant du nord-ouest brise le silence de la colonie japonaise au Cap Sōya.
Nobunaga Ashiro, alors que comme tous les jours il fait sa promenade autour de chez lui, il distingue un avion au loin, un gros porteur, qui semble en perdition.
Pétrifié de terreur, comprenant qu’il voit là une catastrophe aérienne, il ne peut que regarder l’avion s’abîmer sur l’eau, très loin.
Au même instant, il entend un cri derrière-lui. C’est le cri d’une enfant.
Il se retourne, et aperçoit à quelques mètres de lui une petite fille d’à peine dix ans, qui semble apeurée et perdue.
Il s’approche d’elle. Ses habits étranges l’étonnent... mais qu’importe, elle lui rappelle sa propre fille, Noriko, morte avec sa mère dans un accident de voiture, à Tokyo.
— Bonjour petite, que fais-tu ici ?
Elle est toute tremblante, mais le visage aimable de Nobunaga la rassure un peu.
— Je suis perdue... où est papa ?
— Je ne sais pas... quel est ton nom ?
— Miyazaki Imaru.

[1] À 18h26, le 1er septembre 1983, un Soukhoï soviétique abat un Boeing 747 de la Korean Airlines.