La sorcellerie a de tout temps fascinée les hommes ou fait peur à la populace. Autrefois, moyen de pression pour maintenir le peuple dans la peur, par l’étrange et la superstition.C’est ici un récit d’histoires édifiantes et de procès en folie, au temps de l’inquisition. Le fait que ce livre se situe aussi au Comté de Bourgogne pourra piquer votre curiosité.

EXTRAIT

“Ce n’est point une œuvre philosophique que nous nous sommes proposé d’écrire, mais un simple chapitre de l’histoire du comté de Bourgogne.
Si ce chapitre répand un nouveau jour sur une des plus grandes aberrations de l’esprit humain, s’il contient même quelques enseignements philosophiques, nous ne nous en défendrons pas. Mais si, confondant les temps, un lecteur malavisé prenait prétexte de nos recherches pour rendre responsable notre époque des erreurs d’un autre âge, nous lui laisserions la responsabilité d’un anachronisme dont nous sommes innocent.”

ISBN 9791094773413

Imaginaire n°580
lundi 11 décembre 2023
inspirée par
“Histoire de la sorcellerie
au Comté de Bourgogne”
d’Aristide Déy
 
 La sorcellerie... le retour.
 
RETOUR À L'ENFER
 
Ils m’ont enfin libéré, après dix ans de bagne dans l’île de Cavallo, à l’est de la pointe sud de Corse.
L’île, autrefois, était un petit paradis pour milliardaires. Ça a bien changé !
Deux kilomètres de mer qui sépare les reclus asociaux du reste de la population.
“Wahid, on te libère demain”, m’avait dit le surveillant. J’y croyais plus... alors j’ai souri bêtement en le regardant.
Le lendemain, en effet, on a ouvert la porte de la cellule commune. On était vingt-deux à partager ce local insalubre d’à peine quarante mètres carrés. J’ai embrassé tout le monde, et surtout Kouamé, notre “sorcier noir”. Il va me manquer.
Une vedette de la Pénitentiaire de l’Inquisition attendait à quai. J’étais le seul de jour là à quitter la taule.
“Fais attention à ne pas recommencer, Wahid ! On t’a à l’œil”, m’a précisé Monsieur Paul, le directeur, accompagné de son fidèle confesseur, le sanguinaire père Lejeune. Quelle ordure ce type ! Un mélange de bigot et de sadique, qui se délecte de nos souffrances en psalmodiant ses horribles prières.
Débarqué à Bonifacio le 11 décembre 33, j’ai commencé mon voyage de retour à Épinac. Hafsa doit être morte ; je n’ai eu aucune nouvelle d’elle depuis plus de huit ans. J’ai juste su qu’elle avait revendu la boutique à un paysan du coin, qui en a profité pour la voler sur le prix du terrain et de la maison.
Je suis arrivé à pied à Bastia près de quatorze jours plus tard. Le jour de Noël. Tout était fermé, bien entendu... travailler un jour religieux, c’est une condamnation au bagne assurée. Mais j’ai attrapé un bateau pour Marseille le lendemain.
Le plus dur, ça a été le voyage le long de la Vallée du Rhône. Les anciens bagnards ne sont pas les bienvenus. Surtout que je devais faire viser mon “Passeport noir” tous les trois jours à l’église du coin.
Dans les environs de Valence, j’ai voulu téléphoner. Mais le téléphone est réglementé, j’ai donc été voir le curé d’une chapelle. À Beauvallon. Ambiance de cafards processionnaires ce jour de nouvel an.
“Que veux-tu bonnet-noir ?”[1] m’a demandé le chapelain. “J’aimerais pouvoir téléphoner, mons... mon père”. J’ai failli en reprendre pour deux ans ! “À qui et pourquoi ?”, “À ma compagne, pour lui dire que je vais bien et que j’arrive”.
Il m’a regardé d’un œil noir réprobateur. “Fous le camp... elle aura tout le temps de revoir ta sale tête de galérien.” Je me suis tu, j’ai fait demi-tour... je lui ai souhaité, silencieux, d’embrasser un quinze tonnes, et j’ai repris ma route en faisant un détour pour éviter la ville. Ça me rallonge la route, mais c’est plus sûr pour ma tranquillité.
Quelques fois, heureusement, j’ai croisé le chemin de gens qui ne me maudissent pas. Comme ce couple de petits vieux, du côté de Charolles. Des gens de bien qui m’ont nourri sans rien me demander, ni argent, ni question. J’ai presque pleuré en les quittant.
J’étais inquiet pour Hafsa, alors j’ai décidé de moins dormir. De toute façon je dormais le jour, caché du mieux possible dans un recoin de ruine ou d’ancienne usine désaffectée. Je marchais la nuit, c’était moins risqué.
Vers Le Creusot, je l’ai échappé belle. Il y avait eu un vol de légumes dans le jardin d’un particulier, et la rumeur aidant, on savait qu’un ancien bagnard libéré était dans les environs. Je les ai entendus toute la nuit, avec leurs fourches, leurs piques ; vociférant injures et me vouant aux gémonies. Heureusement, j’avais trouvé un coin sombre dans une ancienne bouche d’égout. Ils sont passés tout près de moi, mais sans doute dégoutés par l’odeur, ils n’ont pas bien regardé.
Je suis reparti très tôt, il faisait encore nuit et j’ai presque couru pour être à bonne distance.
Plus je me rapprochais de chez moi, plus je faisais attention. J’étais malheureusement trop connu par là. Ma maison d’édition avait eu très mauvaise réputation. Le procès avait été très couvert par la presse autorisée, “Le paroissien de Saône-et-Loire” avait été le meilleur porte-voix de l’accusation “de sorcellerie par l’usage de matériel infernal”. Alors j’étais aux aguets ; je marchais sans bruit, le plus rapidement possible.
C’est le 15 mars 34 que je suis arrivé enfin devant la maison. Ils ne l’avaient pas fait flamber, comme m’en avait menacé le curé d’Épinac, le père Lafouge. Il faisait encore nuit... j’ai frappé doucement à la porte. Je n’ai eu aucune réponse. J’allais ouvrir... il y avait toujours une clef de secours planquée sous une grosse pierre.
J’avais la clef en main. La porte s’est ouverte, et j’ai vu Hafsa. Elle était toujours aussi belle et souriante. Elle s’est jetée à mon cou et m’a couvert de ses baisers.
J’ai attendu d’être à l’intérieur pour lui poser la question qui me brûlait les lèvres :
“L’ordinateur est bien caché ?”

[1] “Bonnet-noir”, référence aux “bonnets-vert” du XIXe, qui désignait un condamné à vie ou à longue peine.