Léon Tolstoï s’attaque dans ce texte à la propriété foncière et propose un modèle social résolument anarchiste.

EXTRAIT

“[...] Le fait que vous autres ouvriers êtes forcés de passer votre vie dans la misère, que vous êtes condamnés à un travail pénible, infructueux pour vous, alors que d’autres, sans aucun travail, jouissent du produit de votre labeur, que vous êtes les esclaves de ces hommes, quand cela ne doit pas être, ce fait émeut quiconque a des yeux et du cœur.
Mais que faire pour que cela change ? [...]”

ISBN 9782851220875

Imaginaire n°590
mercredi 3 janvier 2024
inspirée par
“L’abolition de la propriété foncière”
de Léon Tolstoï
 
L’espoir fait vivre, c’est une réalité.
 
CHANGEMENT DE MUSIQUE
 
C’est une petite maison toute simple, faite de bric et de broc. Située aux abords du massif des Vosges, une colline dans les environs de Remiremont.
C’est le jour du solstice d’hiver. Il fait froid, le vent souffle sur la neige tombée durant la journée.
Un homme vouté, habillé chaudement, se tient sur le palier, dos à la porte, debout, appuyé contre pilier de bois. Il est en train d’allumer une cigarette roulée dont quelques poils de tabac émergent.
Les derniers rayons du soleil meurent à l’horizon dans des couleurs de feu.
L’automne a été éprouvant pour lui. Sa femme est morte d’un cancer fulgurant qui a surpris tout le monde. Son fils a été tué dans un accident de la route, par un chauffard alcoolisé. Il a dû fermer son atelier de restauration de tableaux... plus assez de commandes, et des charges toujours aussi insupportables.
Il tourne la tête vers un vieux rocking-chair, face à la rambarde. Il s’y assied en tirant sur sa clope si misérable.
Il a le regard perdu au loin, les yeux embrumés de souvenirs, la tête dans la fumée.
Un vol des dernières oies cendrées passe dans le ciel. “Elles sont un peu en retard cette année”, pense-t-il, regardant le “V” mouvant. Cette simple remarque ornithologique lui redonne un souffle de sourire, vague reste d’optimisme.
Il se lève d’un coup, comme si un ressort l’avait expulsé du fauteuil à bascule. Il rentre.
Quelques instants plus tard, il ressort, tandis que d’un vinyle tournant sur la platine, les premières mesures d’une musique répétitive, mélancolique, s’échappent au-dehors. Le son est à fond.
Il se rassied sur le fauteuil, renversant sa tête sur le dossier ; il entame un balancement reposant. “Joy division... rien de tel quand tout va mal”, se met-il à sourire ironiquement.
La nuit est tombée cette fois, il tend le bras en arrière. Appuie sur un interrupteur. Une lumière d’un jaune chaud et doux éclaire ce bout de maison.
Non loin, les hauts arbres du bois bruissent sous les rafales du vent glacé.
L’homme tire à lui son long manteau de laine pour mieux s’en couvrir. Un frisson chaleureux le parcours.
Il lance son mégot par une pichenette, et plonge sa main dans la grande poche de son vêtement. Il en ressort un vieux paquet de tabac. Il se saisit d’une feuille de papier à rouler, et y dépose un filet de tabac qu’il roule en tremblant des mains. “Fait chier, j’arrête pas de trembler de plus en plus... fichu soixante-quinze ans.” Et puis, presque surpris de lui-même, il éclate d’un rire tonitruant qui couvre les accents tristes du disque.
Une image lui est revenue en mémoire. C’est une image en noir et blanc. Celle d’un vieil homme derrière une vitre. Le vieil homme ridé, sourit, d’un sourire humble. La fenêtre s’ouvre. Il est mitraillé par les photographes. Il hoche discrètement la tête, comme un remerciement.
“Le succès n’est pas final. L’échec n'est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte.”[1]
Sortant de cette pensée, il se lève du fauteuil.
“Il me reste ma maison et tant de choses à faire”, se dit-il en allant changer de musique.

[1] Winston Churchill.