Imaginaire n°619
lundi 11 mars 2024
inspirée par
“Le chien des Baskerville”
d’Arthur-Conan Doyle
Il y a de belles histoires à dire sur la lande.
LE SILENCE PERTURBÉ
Il fait presque nuit et le froid est tombé, inexorable, sur la lande, dans les environs de Pitlochry, à un jet de pierre du Château de Balmoral. On peut penser que seul le vent habite ici, en cette première moitié du xixe siècle. Victoria, reine depuis cinq ans de “l’Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais” vient de rentrer de Perthshire qu’elle a longuement visité.
Et sur cette lande, la callune, cette bruyère violette, ondule telles de vastes vagues dans un silence de vide. Seuls quelques engoulevents semblent habiter ici en ce moment-là.
C’est un chien qui perturbe ce paysage homogène. Élément chaotique dans un espace habitué à la solitude et l’oubli.
Le chien est de taille moyenne, son pelage blanc, roux et noir se voit de loin dans ce monde à l’ensemble harmonieux. Il court, tête en avant, la queue alignée à son dos, ses enjambées sont puissantes. Il court. S’il y avait âme qui vive ici, elle aurait pu se demander, “après quoi peut bien courir cet harrier ?”
Silencieusement, sa ruée le mène vers un petit talus surmonté d’une botte de chardons. Il plonge la truffe affolée sur le trou de cette petite bosse. Avec ses pattes, nerveusement, il tente d’élargir cette entrée primitive.
Soudainement, ses oreilles l’avertissent. Derrière lui, il y a un autre animal à quatre pattes. Il relève le museau, et se retournant, il est surpris de découvrir devant lui la tête d’un sanglier. Un sanglier apparemment affamé et prêt à tout. Ses yeux sont injectés de sang. Ils le fixent sans pitié.
Sentant qu’il ne peut fuir, l’harrier fait face, retrousse les babines pour bien montrer les crocs, et qu’il ne fera pas de quartier, ni ne se défilera.
Étonnement, la bête devant lui est surprise de cette réaction, elle cligne des yeux, baisse les oreilles et commence à émettre des sons plaintifs.
Alors qu’un spectateur aurait parié pour un combat à mort, les deux animaux s’apaisent. L’harrier, comprenant instinctivement que la mort sera pour un autre jour, s’approche, museau en avant, respirant le respect de l’autre.
Dans une parade amicale, ils se reniflent, apprenant ainsi sur l’autre ce qu’il faut en savoir.
Le sanglier, accalmé, se couche même, offrant son ventre au chien, totalement rassuré.
C’est à ce moment précis que leur amitié naissante est interrompue.
Le renard, qui du fond de cette tanière salvatrice, regardait inquiet cette rencontre, s’est décidé à sortir. Il pourrait fuir et rejoindre son vrai foyer, mais un fait extraordinaire se produit.
Les deux chasseurs le regardent, béatement. Ils ne font aucun mouvement. Un observateur aurait évidemment conclu à la fin de goupil, déchiqueté par les deux compères. Mais il n’en est rien. Renard s’approche, quoique prudemment, des deux autres, le nez questionnant leur odeur pacifique.
Instruit, résolument, il met une patte sur le ventre du sanglier, lui sourit.
C’est un coup de feu qui foudroie ce moment paisible d’une nature aimable. Le renard s’effondre, la tête arrachée, tandis que les deux quadrupèdes se dérobent à une possible hallali.
— Monsieur le comte a enfin eu cette bête de l’enfer, dit le serviteur.
— Oui, mon bon Arnold... allez me chercher ce renard, il est tard et je n’aime pas rester la nuit sur la lande, il y a toujours du danger, ces bêtes sont tellement cruelles.
La nuit retombe sur la lande désertée, la callune ensanglantée, près de ce trou dans la terre y est insensible. Elle continue sa danse perpétuelle, alors éclairée des rayons de lune. La lande revient à son silence un instant perturbé.