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PAS DE DESTIN,
MAIS CE QUE NOUS
FAISONS DE NOUS... OU PAS
DEUXIÈME PARTIE
Kytheris
III
- Confiance -
25 mai 2298.
Le vaisseau Aeon Trace, toujours en orbite, reste sur sa position géostationnaire.
Selamawit revient de la ferme Serraha. En passant, elle a demandé à l’IntelMix[1] un kéfir de menthe fermentées avec un zeste de fleur d’oranger.
— Sana, où en sont les habitants de Kepler-138e ? La sonde fonctionne bien et enregistre tout ?
— Oui, la “déesse” est parfaite. D’autant qu’ils viennent de finir la réunion qui semble être celle des “anciens”. Deux mots prononcés souvent ont retenu mon attention : Aharé et Kiéris. Le premier m’est pour le moment incompréhensible, mais à voir leurs gestes et ce qu’ils dégagent, il semblerait ; sans certitude aucune, que ce soit le nom de la planète. J’ai aussi noté que ce “é” a une nature musicale légèrement différente de notre “é” terrien.
— Tu es une parfaite exolinguiste, Sana.
— Oh, tu sais, c’est Jules Sibawayh qui m’a donné les bonnes bases de la linguistique néosémiotique.[2]
— Intéressant. On attend une réponse alors ?
— Il semblerait qu’ils soient en train de communiquer la réponse à notre question sonore : “Qui êtes-vous ?”[3]
Selamawit, dont ce n’est pas le domaine d’expertise, reste silencieuse un moment.
— Mais comment a-t-on fait pour leur poser la question ?
— Par des sons symboliques, avec des vibrations différentes, quelquefois répétées. Ce n’est pour le moment qu’une prise de contact ; une question très simple.
C’est à cet instant que, sur l’écran du holopan, on voit le groupe des cinq anciens se lever, tendre les bras vers le ciel, en émettant par leur tresse-poil des variations de couleurs allant du blanc au vert pâle, avec un son harmonique de leur petite fente du visage.
Sana ne met que quelques secondes avant de donner une réponse claire à Selamawit, qui regarde ces habitants sur l’écran.
— Ils viennent de répondre, en quelque sorte : “Nous sommes le chant de l’eau et du feu réconciliés.”
Selamawit fait un petit geste de la tête, appréciant la réponse plutôt positive.
— C’est plutôt sympa. Et maintenant ?
— Tu veux les rencontrer ?
Elle se fige, son kéfir toujours à la main.
— Hein ? Mais… mais comment ?
— Ne t’inquiète donc pas… une projection holographique que tu contrôleras… d’ici !
Selamawit pousse un long soupir.
— Tu m’as fait peur. Allons-y pour cette nouvelle rencontre du troisième type, où c’est moi qui joue le rôle de E.T. !
*
— Je leur ai envoyé le message : “Je viens vous voir.”
Après que Sana ait envoyé ce message en utilisant le son d’un koto ; une suite harmonieuse et douce de sons clairs, fluides, une arythmie basée sur la suite de Fibonacci. Une mélodie ascendante puis stable, riche en tierces majeures et sixièmes mineures pour la douceur et l’intensité, avec un timbre cristallin subtil...
L’hologramme de Selamawit arrive au centre des “anciens” Hharat.
L’holoSela s’assied en tailleur, comme si elle était entourée de vieux amis. Les anciens l’imitent, alors qu’une foule s’agglutine déjà aux portes de la cahute simple mais charmante aux yeux de l’holoSela.
Un grand être arrive sur le côté. Il porte une sorte de plateau avec six coupelles remplies d’un liquide verdâtre, d’où émane une odeur agréable, comme un mélange de sucre et de poireau.
Selamawit, dans le vaisseau, est soudainement inquiète.
— Mais comment je vais boire, Sana ?
— Ton hologramme vit comme toi… aucun souci, tu sentiras même le goût dans ta propre gorge.
L'holoSela boit, tout en regardant avec surprise ses hôtes la regarder boire.
Dès qu’elle a fini, les cinq anciens boivent aussi, puis jettent leur coupelle par-dessus leur épaule.
Selamawit, en tant que “déesse”, se demande ce qu’elle doit faire. Son immobilité semble intriguer les anciens.
Mais, du coin de l’œil, parmi la foule, elle remarque l’un de ces spectateurs, qui, à l’inverse des autres, sourit au lieu de faire une tête effarée. Il semble qu’il lui fait signe d’envoyer aussi la coupelle par-dessus son épaule… ce qu’elle fait, au grand soulagement de toutes et tous.
Alors, les anciens, prenant la déesse par les mains, l’emmènent au centre du village et commencent à danser, un peu comme un mélange de hula-hoop et de rock, mais à deux.
La joie de toute cette communauté est communicative, et Selamawit se laisse aller à danser avec l’un, l’une, l’une, l’un… sans rien savoir.
Jusqu’au moment où elle reconnaît cette personne qui lui souriait hors de la cabane. Sa bouche fine se penche à son oreille et lui susurre doucement, comme une flûte légère, une mélodie au timbre clair, chaud, comme un souffle naturel. De courtes séries de notes s’élèvent en vagues vibrantes, avec des intervalles intimes sur un rythme de respiration ; le tout très bref.
Selamawit semble comprendre le sens de ce “message”, d’autant que cette personne, discrètement, la prend par la taille.
*
Selamawit et cette personne sont assises sur des coussins de mousse sèche et légère. Une légère odeur de chlorophylle flotte dans la cabane, qui semble être celle de cette personne.
Elle s’exprime par les sons.
Dans le vaisseau, Selamawit, qui ne craint rien, est presque séduite par cette personne.
— Dis, Sana, ce serait pas une nana ?
— Possible, Sela… d’autant que la couleur de sa tresse-poil est plus verte que celles des anciens, qui étaient plus grises irisées.
Les sons qu’elle émet évoquent cette fois une cithare : un petit morceau articulé en trois périodes. La première est calme et posée, d’une stabilité apaisante. La seconde, plus nuancée, oscille discrètement, comme une hésitation douce. La troisième s’étire lentement en notes descendantes, douces et rondes, presque comme une berceuse.
Le timbre de l’ensemble ne trouble pas ; au contraire, il rassure. Plus grave, plus chaleureux, il désinquiète doucement.
Et ce sourire complice finit de persuader Selamawit que celle qu’elle a en face d’elle sait qu’elle n’est pas la déesse... et que, finalement, elle s’en fout.
Selamawit s’efforce, avec des gestes, de lui demander son nom.
— Je suis Se-la-ma-wit, dit-elle en pointant son index contre son ventre, et en répétant plusieurs fois.
D’abord, son interlocutrice semble essayer de comprendre, avant que le trait de sa bouche ne dessine une banane.
Elle répond doucement, en séparant les syllabes :
— Inh… Li-zo-an ; Li-zo-an, dit-elle en pointant son grand doigt sur son ventre, elle aussi.
— Lizoan ? dit Selamawit.
Lizoan cligne des yeux pour dire oui.
[1] Voir partie 1, épisode 7.
[2] Du grec sēmeion (signe) et neo (nouveau) : étude des nouveaux langages à partir d’éléments sonores, gestuels, vibratoires, chromatiques, etc., au-delà du langage verbal.
[3] La transformation d’un son (y compris non-humain ou exo-sapien) en entité mathématique repose sur des bases physiques et cognitives établies : tout son est une onde caractérisable par des paramètres mesurables (fréquence, amplitude, durée, spectre harmonique). L’analyse spectrale ou la Transformée de Fourier permet de décomposer tout signal sonore en composantes mathématiques interprétables universellement. Cette équivalence permet une “traduction” objective : un son peut être converti en séquence mathématique, puis retransposé vers une sonorité compatible avec l’audition et la cognition humaine. Ce principe est utilisé en acoustique, en cognition musicale, en phonétique expérimentale et dans la recherche SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence).
Lire à ce sujet : William Sethare, “Tuning, Timbre, Spectrum, Scale” (Springer éd. 2005).
Max Mathews (1980). “Digital synthesis of musical sounds”, paru dans Science en 1980 n°4428 (vol. 207).
(partie 2 épisode 4, mardi 10 juin 2025)