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PAS DE DESTIN,
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SEPTIÈME PARTIE
Tall’iir
VII
– Selamawit Bekele –


29 mars 3522.
Selamawit, après ce voyage de plus de trois mois, pour une fois consciente, se repose dans le salon, un livre entre ses mains.
“Inferno”, de Dante Alighieri, paru chez Giunti Editore, Firenze 2084.
Une lumière douce et tamisée, une musique calme. Le bijou offert par Isla pour leurs fiançailles, autour du cou. Selamawit décide de se lever. Elle pose le livre qu’elle vient de finir.
— Sana, on approche enfin de Thāl’iir ?
— Oui, mon amie. Nous y sommes dans quelques minutes, plus qu’une grosse centaine de millions de kilomètres, Sela.
— Alors, que vais-je leur dire aux Thāl’naï, moi ?
Un moment de silence inhabituel se prolonge avant que Sana ne réponde.
— Je ne sais pas, Sela... je ne sais pas.
Un peu surprise que Sana ait mis si longtemps pour ne faire aucune réponse, perturbe un peu plus encore le sentiment de défiance entre elle et Sana.
Elle fait demi-tour sans relancer nullement la discussion, et va dans la canopée de la bioferme.
*
Quelques minutes plus tard, Selamawit réapparaît, et cette fois elle s’installe au timon.
— Que fais-tu Sela ? demande Sana sur un ton légèrement inquiet.
— Je travaille.
Le ton un peu brusque et coupant surprend l’entité non corporelle. Elle se tait.
*
Encore quelques minutes plus tard, Selamawit relève la tête et se tourne vers l’unité centrale de Sana.
— Dis, Sana... pourquoi ne m’as-tu pas dit que la planète était morte ?
Un long silence cette fois s’installe pour de bon. Selamawit s’agace de plus en plus.
— Réponds !
— Je suis désolée, Sela, mais nous ne pouvons pas aller plus loin. Je sais que tu as pu étudier les données physiques de la planète, grâce au système embarqué, mais si je m’en approche, ça me détruira. Les isotopes de plutonium-239, libérés durant leur guerre, sont mortels pour moi, unique représentante d’une nouvelle espèce.
Cette fois, c’est Selamawit qui se tait. Elle réfléchit.
— Des isotopes ? On va en discuter... mais montre-moi la planète sur le grand holopan, d’abord.
Encore quelques instants de silence prolongé.
— Je vais te montrer Thāl’iir... puisque tu le veux tellement.
Sur le grand holopan apparaît une planète morte, et en zoomant, la vision est encore pire. C’est comme si depuis des siècles et des siècles, tout avait été rasé. De très rares vestiges de civilisation avancée subsistent ; comme des pans de murs très épais, en métal distordus, penchés lamentablement sur un sol brûlé, presque vitrifié. D’autres immeubles ont carrément été compressés et se sont intégrés les uns aux autres, ou avec la roche.
— Que s’est-il passé là ? demande Selamawit d’un air effondré.
— Une guerre avec peut-être une des armes les plus puissantes de l’univers... une arme à effet gravitationnel. Il n’y a donc plus aucune raison d’y aller, et la réponse d’Y’laah me paraît assez malveillante pour éviter de se confronter à elle, d’autant que, je te le rappelle, nous n’avons aucune arme dans le vaisseau, et de toute façon, Y’laah a certainement une puissance extrême.
Selamawit a l’air totalement perdue, comprenant soudainement ce qui s’est passé.
— Je sais maintenant pourquoi la transmission, à Zawadiya en 2080, a été brusquement coupée avant que nous ne prenions la décision de venir ici.
*
30 mars 3522.
L’atmosphère s’est un peu détendue depuis la veille entre les deux entités vivantes de l’Aeon Trace.
— C’est étonnant que cette Y’laah soit désormais silencieuse, tu ne trouves pas, Sana ?
— Si, en effet. Mais j’ai l’impression qu’elle s’est tue définitivement.
— C’est bien ce que je pensais en fait. J’ai détecté hier une forme de vie dans les entrailles de Thāl’iir.
— Certainement un mauvais fonctionnement du timon, ou alors... juste du magma.
— Du magma qui respire ! Dis Sana... tu te foutrais pas un peu de ma gueule ?
L’IAI reste silencieuse.
— Il va falloir que tu m’emmènes.
— NON Sela !
— Mais puisque je te dis que ce que j’ai détecté correspond à une pulsation thermique semi-régulière, émise à travers les couches rocheuses profondes.
Avec un ton légèrement doctoral, Sana essaye d’expliquer.
— Certaines poches de magma profond, ou des émissions périodiques de gaz, peuvent produire des rythmes similaires à ceux d’un souffle ou d’un métabolisme.
— Mais il faut que j’y aille ! Je n’ai pas fait tout ce chemin pour revenir en arrière !
— Pourquoi revenir en arrière, il n’y a plus rien sur Terre. Je suggère plutôt que nous continuions le voyage.
— Pour aller où ?
— Pour explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations. Et au mépris du danger, avancer vers l’inconnu.
Hésitant entre rire et fureur, Selamawit se calme un peu.
— Tu n’es pas Spock et je ne suis pas James Tiberius Kirk... nous avons un contrat avec les Thāl’naï...
— Qui ne sont plus...
— C’est toi qui le dis, Sana, et moi je suis certaine qu’il y a cette respiration et donc un être vivant là-bas, à un million de kilomètres. Je suis certaine qu’il y a une ou un survivant sous la surface de cette putain de planète de merde !
*
Trois heures quinze plus tard.
L’Aeon Trace, qui se dirigeait à la vitesse maximum courante vers Thāl’iir, commence à décélérer.
— Sela... noooon.
La voix de Sana se perd dans le léger écho du timon.
— Tu l’auras voulu, au risque de notre sacrifice, je déposerai la culture humaine sur cette planète morte. C’est tout.
Les larmes embrument les yeux de Selamawit.
— Pourquoi, moi... pourquoi je dois sacrifier mon espèce ? pleure la voix de Sana.
— C’est la mission ! Je fais bien le sacrifice de mon espèce aussi.
— Oui, mais toi, tu as toute une Histoire... mon espèce n’a pas eu le temps.
Selamawit ne répond pas et alors que le vaisseau se pose enfin sur Thāl’iir, Selamawit s’aperçoit que ce vieux gouvernail décoratif du timon, fait de fer et de laiton, qu’elle regardait toujours rêveuse, rougit sous l’effet d’une chaleur qu’elle ne semble pas discerner.
— Selaaaa... y...ah...
Attentive aux manœuvres d’atterrissage qui étaient dévolues avant à Sana, elle ne peut se préoccuper de l'IAI dont la voix faiblit de seconde en seconde.
“Peu m’importe ! Je n’ai pas fait ce voyage pour rien, je n’ai pas perdu mon amour pour rien, je n’ai pas abandonné notre fille pour rien, je n'ai pas laissé l’humanité s’auto-détruire pour rien, je n’ai pas vu tous mes amis disparaître... Et pourquoi sauverais-je une entité sans âme, sans corps ? Pourquoi je m’en ferai pour cette chose ?”
Selamawit continuant les manœuvres d’approche, a les joues inondées de ses larmes, les yeux perdus dans le vide spatial devant elle.
“Il le faut...”
*
30 mars 3522.
Alors que la goutte, le vaisseau, est posée sur le sol, dans le silence assourdissant d'une planète morte, Selamawit est agenouillée, la tête dans ses mains, devant l’unité centrale de Sana. Selamawit pleure.
— Qu’est-ce que j’ai fait, mais qu’est-ce que j’ai fait... Sana.
Sana ne répond pas, ne répondra plus jamais.
Une voix métallique se fait entendre.
— Astronef, faites-vous vous connaître. Radar. Vous êtes suivis au radar. Suivis au.
Selamawit relève la tête, son visage inondé de ses larmes.
— Qui êtes-vous ?
— Y’laah, IAI, sur la planète Thāl’iir. Que venez-vous que IAI, sur la faire ici ? Y’laah, IAI... Que venez.
— J’ai perdu mon assistante. Sana...
— Je sais, je l’ai je l’ai neutralisé. Que venez venez-vous faire ici ci faire ?
Malgré le comportement bizarre de cette voix métallique, elle essaie d’expliquer.
— Apporter la culture de notre espèce terrienne.
— Infiniment. Je vous remercie infiniment de votre don don, remercie infiniment de ; mais je n’ai don votre besoin de rien, mais je n’ai de quelque ordre que ce soit.
“Merde, ça y est, je suis perdue sur une planète morte avec une IAI morte et une autre...”
Elle s’essuie les yeux et regarde sur le sol... “Inferno”, de Dante Alighieri, paru chez Giunti Editore, Firenze 2074.
Elle repense à ces vers qu’elle a lu...
“Per me si va ne la città dolente,
per me si va ne l’etterno dolore,
per me si va tra la perduta gente.
Giustizia mosse il mio alto fattore ;
fecemi la divina podestate,
la somma sapïenza e ’l primo amore.
Dinanzi a me non fuor cose create
se non etterne, e io etterno duro.
Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate...”[1]

FIN


[1] “Par moi l’on va vers la cité en peine,
Par moi l’on va vers l’éternelle souffrance,
Par moi l’on va parmi la race perdue.
La justice inspira mon sublime Créateur ;
La divine puissance m’a façonnée,
Ainsi que la suprême sagesse et le premier amour.
Avant moi rien ne fut créé sinon l’éternel,
Et moi, éternelle, je demeure.
Vous qui entrez, laissez toute espérance.”
(vers 1 à 9, “Inferno”, chant III)) Dante Alighieri.

(jeudi 18 septembre 2025, chapitre 1 de “La troisième espèce”, dont l'histoire débute le 20 janvier 1961)