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LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 21
AUCKLAND

— William, allez dire à monsieur Hallqvist que nous approchons d’Auckland et que nous allons atterrir très bientôt.
L’opérateur radio se lève en s'étirant, un peu coincé qu'il est à sa place.
— Oui commandant, tout de suite.
Il semble se dégourdir les jambes tout en allant vers le petit groupe qui s'est formé dans la cabine, ce matin du 14 mars. Ils sont en pleine discussion.
— Bien entendu que nous allons à l’enterrement, si ces feuilles de métal ont attendu tant de siècles, elles le pourront encore quelques jours, dit Einar à l'adresse de Théo.
— Vous avez raison, mon ami, pardonnez-moi cette impatience qui me taraude depuis mon départ d’Ixelles, s’excuse-t-il.
Le radio s’approche.
— Monsieur Hallqvist, nous allons bientôt atterrir à Auckland.
Einar Hallqvist a l’air étonné.
— Pourquoi c’est vous qui me prévenez, où est l’hôtesse ?
Le troisième homme d’équipage a l’air vraiment étonné.
— Vous ne saviez pas qu’elle n’a pas pu continuer notre expédition ?
— Mais pourquoi ?
— Elle a été arrêtée pour complicité de meurtre... il semblerait que ce soit elle qui ait renseigné les membres de la secte The divine union sur notre parcours, et donc de la possibilité de mettre le feu à notre hôtel la nuit dernière.
Einar Hallqvist semble anéanti.
— Une si belle personne.
— La beauté du diable, mon ami, le rassure Samy qui va se rasseoir.

Quelques jours plus tard, dimanche 19 mars 1961.
O’Neill’s Point Cemetery, lieu emblématique de certaines familles bien en vue à Auckland, dont les Percy.
Le cousin de Llewellyn, Réginald, est le seul survivant d’une famille traversée par les drames historiques. C’est un petit homme, maigrelet, portant beau. Son visage triste est barré par une moustache en guidon de vélo. Il est habillé traditionnellement de ce costume noir et reçoit les hommages à la porte du cimetière.
Einar s’approche, tend la main à cet homme qu’il ne connaît pas.
— Toutes mes condoléances, monsieur... ?
— Merci... Réginald, Réginald Percy... vous êtes ?
— Einar... Einar Hallqvist, conservateur adjoint au Muséum suédois d’histoire naturelle à Stockholm.
L’homme relève la tête comme quelqu'un qui rencontre enfin une personne dont on lui avait déjà parlé.
— Ah ! Ma cousine m’avait parlé de vous... pouvons-nous nous voir après la cérémonie ?
— Bien entendu, monsieur, avec... si j’ose dire, plaisir.

Le Hi Diddle Griddle est bondé ce soir-là, Einar, Friedrich, Théo, Samy et Réginald Percy ont trouvé une table alors que Nat King Cole est sur la scène.
— Je vous remercie, monsieur Hallqvist, cette pause me fait tellement de bien après la mort ignoble de ma grande Llewellyn.
— C’est une joie, si je peux me permettre étant donné votre affliction, de vous faire ce plaisir et un rendu à cette femme que j’ai si peu connu.
— Taisez-vous... par pitié, le grand Nat va parler ! interrompt Théo, tout à sa manière, fâchant un peu Réginald.
Nat King Cole est debout, il tapote un peu le clavier du piano pour obtenir le silence.
— Good evening, ladies and gentlemen… I’m just passing through tonight, but I had to make a stop for you, Cherry; yes, just for you, exceptionally. We all wish you the most wonderful birthday. You don’t show a single one of your 80 years, and I love you dearly...[1]
Il taquine un peu le clavier.
Des applaudissements éclatent, des gens se mettent debout et frappent dans leurs mains.
Au bout de quelques instants, le silence revient.
— ...Now, I’d like to play your favorite song, “Smile”, just for you. Here’s to many, many more beautiful years ahead ![2]

Alors que Nat King Cole rejoint la table de son amie, ses musiciens continuent à jouer. À leur table, Réginald se tourne vers Einar.
— Vous savez, vous m’avez parlé de votre ancêtre...
— Lennart Hallqvist ?
— Oui. Je détiens un document historique. Une lettre du capitaine Cook à sa femme où il est question d’un objet métallique et de votre ancêtre. Je n’avais pas compris, jusqu’à aujourd’hui.
Einar en reste bouche-bée avant de reprendre ses esprits.
— Pou... Pourrais-je la voir ?
— Bien entendu. Je vous invite tous demain dans ma demeure.

Dans les environs d’Auckland, un grand parc, très bien entretenu, et au bout d’une allée bordée d’arbres, une demeure coloniale. Blanche avec quatre colonnes, quelques marches et de très hautes fenêtres.
Samy s’arrête avant d’entrer. Il s’adresse au maître de maison.
— C’est étonnant, votre maison ne correspond absolument pas au style néo-zélandais courant.
— Oui, vous l’avez noté ! C’est un ancien propriétaire... un certain Abraham Smith, qui après la guerre de Sécession est venu s’installer ici.
— Abraham... Smith ?
— Oui, vous connaissez ?
— Le nom me rappelle quelque chose, guère plus.
Samy regarde Einar avec insistance, qui lui-même a évidemment compris de qui il s'agissait.

Quelques instants plus tard, installés confortablement dans le salon de cette grande maison. Réginald tend un vieux papier à Einar.
— Voici la lettre.
Cependant le suédois remarque Théo, qui tout en restant exceptionnellement poli, regarde tristement Einar qui lui tend enfin le papier.
— Merci mon ami, je n’y tiens plus... depuis que je sais. Mais voulez-vous que je fasse la lecture pour tout le monde ?
— J’allais vous en prier, mon cher, sourit Einar.
Il lit :
“Van Diemen’s Land,
the 26th of January, 1777.
My dearest Elizabeth,
I must beg your pardon for the brevity of this letter. The days are wholly consumed by my duties aboard—charts to be drawn, orders to be given, and observations to be recorded. Yet, amidst all these labours, my thoughts are ever with you.
The seas are restless, and the stars guide us faithfully. At times, I encounter things most strange to the mind’s understanding: curious objects reflecting the sun in a singular fashion, thin and pliant, yet cold to the touch. They bear some likeness to a book, with shapes that seem made for reading, and yet I am certain it cannot be so. I dare not speculate, for such notions might be judged unnatural, though I confess they stir my wonder and imagination.
A swedish man of science, Lennart Hallqvist, whose letter reached me ere our departure, claimed to have seen a rock rise from the waters near the Kerguelen Isles, his vessel being forced to turn back by the roughness of the sea at that moment. I know not what to think of it. Mayhap some trick of wind and waves, and I shall not draw a conclusion until I have witnessed the place myself.
I hope this finds you in good health and spirits. Tell the children they are in my heart, and I pray each day for your safety. Though I am far, the thought of you sustains me through wind and wave.
Yours ever,
James Cook”[3]
— C’est extraordinaire ! s’exclame Théo qui s’emporte d’enthousiasme.
Réginald, voyant l’impétuosité du vieil homme, lui retire des mains le rectangle de papier jauni, de près de deux siècles, de peur qu'il ne l'abîme.
— Nous partons tout de suite pour les Kerguelen, je ne peux tenir plus !
— Demain, mon ami, demain, le résonne Einar.


[1] Évidemment, c’est une fiction, Nat King Cole enregistrait à cette époque et il est passé à la télé le 30 mars, dans “An evening with Nat King Cole” à la BBC. Mais voici la traduction de ce texte : “Bonsoir, mesdames et messieurs... Je ne fais que passer ce soir, mais je devais m’arrêter pour toi, Cherry ; oui, rien que pour toi, exceptionnellement. Nous te souhaitons tous un anniversaire merveilleux. Tu ne trahis aucun de tes 80 ans, et je t’aime profondément.
[2] Maintenant, j’aimerais interpréter ton morceau préféré, “Smile”, rien que pour toi. À encore de nombreuses, très nombreuses belles années à venir !”
[3] “île Van Diemen, (ancien nom de la Tasmanie)
Le 26 janvier 1777.
Ma très chère Elizabeth,
Je te prie de me pardonner pour la brièveté de cette lettre. Les journées sont entièrement occupées par mes fonctions à bord, les cartes à tracer, les ordres à donner et les observations à consigner. Pourtant, au milieu de ces tâches, je pense constamment à toi.
La mer est agitée, et les étoiles nous guident fidèlement. Parfois, je rencontre des choses étranges qui troublent l’esprit ; d’étranges objets reflétant le soleil d’une manière singulière, fins et souples, mais froids au toucher. Ils ont une apparence qui rappelle un livre, avec des formes qui semblent destinées à être lues, et pourtant je suis convaincu que cela ne peut être ainsi. Je n’ose pas spéculer, car de telles notions pourraient sembler surnaturelles, mais j’avoue qu’elles ont éveillé mon émerveillement et mon imagination.
Un savant suédois, Lennart Hallqvist, dont j’ai reçu la lettre avant notre départ, prétendait qu’un rocher était sorti des eaux non loin des îles Kerguelen, son navire ayant dû faire demi-tour tant l’océan était agité à cet instant. Je ne sais qu’en penser. Peut-être quelque illusion du vent et des vagues. Je préfère ne rien conclure avant d’en avoir fait l’examen moi-même.
J’espère que cette lettre te trouve en bonne santé et de bonne humeur. Dis aux enfants que je les ai dans mon cœur et que je prie chaque jour pour votre sécurité. Bien que je sois loin, la pensée de toi me soutient à travers le vent et les vagues.
À toi pour toujours,
James Cook”

(chapitre 22, jeudi 6 novembre 2025 “Perth”)