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Cette histoire se passe en 3097 avant Jésus-Christ, elle est malgré fictive et basée sur des faits historiques et aussi l’absence de documentation sur certains autres faits qui y sont décrits.

Uruk, au début de “Ud ĝeš-nig du”[1].
Il est tôt, et il fait déjà un temps très agréable.
Enlilshara est anxieux, il tourne en rond dans sa salle de travail. Les mains dans le dos, le visage grave. Cet homme de vingt-trois ans, scribe renommé pour sa mémoire phénoménale des chiffres et des faits, est de petite taille, même pour l’époque. Il est plutôt maigre mais bien bâti.
Un serviteur entre dans la pièce, il est en sueur.
— Maître, ils se sont réunis.
Enlilshara s’est arrêté d’un coup. Il relève la tête, d’abord silencieusement.
— Bien Šulgi, heureusement que tu me sers bien, mais tu vas retourner, discrètement du côté de l’E-dub[2], mais avant, sers-moi un vin du Zagros[3].
Le serviteur va prendre le vin, dans l’une des jarres sculptées, posée au fond de la pièce, du côté des nattes de roseau du salon.
Il revient avec une coupe d’argile remplie.
— Voilà, Maître, dit-il en baissant la tête ; offrant respectueusement la coupe.
À la fin de la journée, alors que la nuit est déjà tombée, Enlilshara est assis en tailleur sur l’une des nattes recouvertes d’une peau de gazelle. Autour de la table basse sur laquelle sont posées quelques jarres de vins, des coupes de fruits et des plats avec des morceaux de viandes séchées, il est entouré de deux de ses amis. Le premier, Enki-dub, qui est aussi son comptable, est un homme de grande taille avec son mètre quatre-vingt, l’œil aux aguets, presque méfiant. Le second, Igi-bar, plus massif et moins grand, est le Gal-bara[4] d’Uruk, son air est plus détendu qu’Enki-dub.
Ils parlent à voix basse.
— Mais ils sont toujours en assemblée à l’E-dub ?
— Oui, Bar, mon serviteur me tient informé régulièrement, je suis très confiant, après tout c’est la première fois de notre histoire.
— Mais ils en ont pour combien de temps pour ça ? demande Enki-dub d’un air soucieux.
Enlilshara, bien moins inquiet que son ami, lui sert une coupe de vin.
— Qu’ils prennent tout leur temps, le reste du temps sera pour moi... et pour vous !...
Ajoutant le geste à la parole, il pose ses mains fortes sur les épaules de ses deux amis.
— ...Lorsqu’ils sortiront et qu’ils donneront la réponse que je sais qu’ils vont donner, nous pourrons...
Il est interrompu par l’arrivée inattendue de Gula-sun, l’herboriste d’Enlilshara.
— Maître, maître, vous avez bu du Dá-šid[5] ?
Tous les trois se tournent vers la femme qui vient de les interrompre.
Enlilshara se lève, très en colère contre celle qui se permet de les interrompre si impertinemment.
— Comment te permets-tu de nous importuner ?
Mais le visage blême de son herboriste l’inquiète, d’autant qu’elle montre en tremblant une des jarres posées sur la table basse.
— Elle est empoisonnée !

Shulgi-tum est debout sur la terrasse en bois surplombant la rue juste en dessous. Il regarde au loin d’un air satisfait.
Il est le Gal-sal[6] d’Uruk, ennemi juré d’Enlilshara depuis tant d’années.
Il se retourne d’un coup vers l’intérieur de ses appartements.
— Tu as bien échangé les jarres ?
— Oui, maître, il n’a rien vu.
Courbé en deux, le serviteur marche à reculons.
— Tu as une main bien cachée[7], tu sais Šul-zi[8] !
Le serviteur, un peu surpris que son maître prenne le temps de faire un jeu de mots le concernant, se courbe un peu plus en continuant à reculer.
Shulgi-tum remet ses mains sur la rambarde et sourit, plissant les yeux d’une joie cruelle.
— Et dire qu’il est en train de se tordre de douleur. Rien que d’y penser...

Le matin apparaît enfin. Le silence est total dans les appartements du scribe Enlilshara. Ses deux fidèles amis sont toujours là, lui est couché sur la natte de tiges tressées, surélevée et recouverte de peaux de gazelles.
Enki-dub prend la main de son ami.
— Tu seras le premier chef civil de notre cité, mon ami, je te le promets.

Vers midi de ce jour lugubre, les religieux sortent enfin de leur assemblée.
En-kiĝal, le vieux grand prêtre, marche vers les appartements d’Enlilshara pour lui communiquer la décision de leur assemblée.
Au même instant Gula-sun se relève.
— Il va survivre ! dit-elle à Igi-bar, mais il faut qu’il reste couché encore un peu.
Tenant à la main l’une des jarres de vin, Igi-bar paraît hors de lui.
— Qu’on appelle Dumuzi-šulgi, rugit le militaire.
Alors que l’herboriste s’en va avec ses petits pots, un serviteur arrive l’air désemparé.
— Il a disparu, maître, on ne l’a pas vu depuis hier soir, quand il a apporté vos victuailles.

En-kiĝal, après avoir annoncé la bonne nouvelle au premier roi d’Uruk[9], se retire.
— Je vais prier Enki pour toi.
— Merci, dit doucement le nouveau et premier roi d’Uruk.
Il prend la manche d’Igi-bar pour lui chuchoter quelque chose.
Quand le militaire se relève, il crie :
— D’ordre du roi, fermez les portes de la ville, que personne ne sorte ni ne rentre !


[1] Pour les spécialistes : “Ud ĝeš-nig2 du11”, ou “période des moissons”, terme reconstitué grâce à The Pennsylvania Sumerian Dictionary, Université de Pennsylvanie, 1974‑2011.
[2] Traduction possible : “Salle du registre.”
[3] L’une des premières vinifications attestées a été découverte en Iran, au nord des monts du Zagros. (source : CNRS).
[4] Titre fictif, mais plausible, qui voudrait dire “grand gardien” ou “chef des gardes”.
[5] Littéralement “miel aigre”, “miel fermenté”. Une boisson alcoolisée plausible.
[6] Un autre titre fictif mais plausible : “Grand protecteur”.
[7] Il semblerait que cette expression soit adaptée aux sumériens, elle est suggérée par “Šu-úg” : “main cachée”, une métaphore pour quelqu’un qui agit dans l’ombre ou trompe les autres.
[8] Jeu de mots sumérien s’appuyant sur la première syllabe “Šul”. Šul-zi pouvant être traduit par “Justice de la ruse”.
[9] Tout à fait fictif en 3097 avant Jésus-Christ, mais pas du tout impossible... il y a 5122 ans !

(mardi 16 décembre 2025, neuvième Nouvelle “Prendre possession”)