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L’OMBRE DE L’ÉCARLATE (XVI)
- La lampe -
Le pasteur Fabien s’assied, sous le poids de la révélation.
— Oui, tu vois, c’est un peu pour cela que, me séparant de l’Église de mes aïeuls, je me suis fait “réformé”.
Romano Bergoglio soupire.
— Eh, ti capisco anch’io, va’... même si cela me choque un peu. Alors, maintenant, que vas-tu faire de cette info ?
— J’ai un ami au Washington Post.
Effaré, son ami, qui était resté debout, s’effondre dans son fauteuil.
— Tu es fou !
— Autant crever l’abcès, dit Fabien, froidement.
Un long silence s’installe.
— Ma cosa it vai dicendo ? dit Romano, avec un léger froncement de sourcils.
— D’accord... Romano, je vais d’abord lui en toucher juste un mot. C’est un ancien du Renseignement durant la Seconde : Alfred Friendly. Il est rédacteur en chef du Post[1].
— Je préfère. Si tu as confiance en lui, mi fido ’d ti.
*
5 août 1963. Hôtel Delle due Chiese, à Asti.
Il fait déjà nuit. Antoine prend le téléphone.
— Buongiorno, vorrei fare una comunicazione con gli Stati Uniti.
— Quale numero desidera chiamare ?
— Vorrei essere messo in comunicazione con il Washington Post, a Washington D.C., per parlare con il redattore capo, il signor Alfred Friendly. Non ho il numero, ma è la sede del giornale.
Quelques minutes plus tard, Antoine entend la voix de son vieil ami.
— Yes, this is Mr. Friendly. Who's calling, please ?
— Salut vieille branche, c’est Antoine.
— Ah, salut Tony, on devait se voir le 30 avril pour la remise du prix Pulitzer à mon pote Oscar Griffin, aujourd’hui c’était Faulkner...
— Pardon de te couper, mais je suis en Italie en ce moment. J’ai un service à te demander, si c’est possible.
— Ça dépend, Tony... ça dépend... légal ?
— Bien sûr, mais compliqué, disons.
— Toi, quand tu parles de “compliqué”, on doit s’attendre à tout. Je suppose que tu préfères pas en parler au téléphone ? Tu veux venir ? Jean, ma femme, serait contente de te revoir.
— Bonne idée, je suis pas venu aux States depuis un bail.
— Okay, alors, on dit... ?
***
Noël 1902.
— Mais entrez, dit alors joyeusement Colette.
C’est ainsi qu’en ce jour-là, Maximilien Lamorie, sa fille et son fils entrent non seulement dans le petit appartement des Jarot, mais Maximilien, lui, dans la vie de sa future nouvelle épouse.
Maximilien, avant d’entrer, fait un geste sur le bord de l’encadrement de la porte d’entrée.
— Vous ne saviez pas que l’un de mes ancêtres avait acheté un appartement au 112, avant que l’immeuble soit reconstruit ?
— Aucunement, mais nous ne sommes que locataires... le propriétaire en est la ville de Paris, je crois.
— Oui... je vous raconterai... une triste histoire.
Irène, elle, se précipite toute heureuse d’être là, et se jette dans les bras de Madeleine.
— Oh, que je suis comblée de partager avec toi ce Noël, Mado.
Madeleine ne dit mot et se laisse poutouner. Les deux filles, ces derniers mois, ont appris à se connaître et à s’apprécier.
Quant à Gustave, lui, il trouve le frère d’Irène, Albert, suffisant et peu intéressant ; il tente de se lier aux deux filles.
La table est mise ; Colette a sorti le phonographe qu’elle a acheté pour cette occasion avec un reste de la fortune familiale de sa belle-mère.
Elle met en place le cylindre de cire, un Scott Joplin qui vient de sortir, The Entertainer[2].
— Ma chère, cette musique entraînante me donne envie de vous demander de danser.
Colette ouvre ses bras et se laisse guider par les pas charmants de son invité.
*
La bûche partagée, les adultes sont restés à table.
— Il y a quelque chose de changé chez vous, s’interroge Maximilien en regardant tendrement le visage épanoui de Colette.
— Oui, je crois aussi. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques semaines, c’est comme si le temps m’avait apporté un renouveau.
Maximilien sourit à cette phrase si naïve et amicale, alors qu’Enrico Caruso, sur le premier de ses enregistrements, chante Una furtiva lagrima.
— Dites, Caruso est certes un chanteur d’exception, mais ne pourriez-vous pas nous faire réentendre ce morceau de... Scout Jope-line ?
— Scott Joplin, mon ami... Scott Joplin.
— Pardon, mon anglais n’a jamais été très bon.
— Je vous pardonne, mais alors faites-moi danser, s’il vous plaît.
Alors que ce nouveau couple se forme, dans la chambre des enfants on s’amuse par des jeux d’esprit entre Madeleine, Gustave et... Irène, tandis qu’Albert, lui, s’est isolé pour jouer seul à un jeu de construction, dans son coin.
*
Durant un instant, la lampe à pétrole de l’entrée clignote dans un halo orangé... rouge, puis s’éteint.
Mais une voix se fait entendre, une voix sortie de nulle part.
— Je reviendr... je revi...
Maximilien se lève pour aller voir la lampe, tout en étant à l’affût de cette voix.
— Ne serait-ce point le père Noël qui vient de nous parler ? rit-il presque.
Colette semble tétanisée, alors que Madeleine, qui revenait du “petit coin”, est figée.
Malgré tout, Maximilien, lui, semble ne pas s’en apercevoir.
— Colette, que pensez-vous de cette nouvelle “fée électricité” qui s’installe dans tout Paris ?
Alors que Madeleine, comme ayant oublié ce moment d’absence, retourne voir ses compagnons de jeux, Colette, pareillement, semble rouvrir les yeux et reprendre une “activité mentale normale”.
— Que du bien, mon ami, que du bien. Pour le moment c’est un peu tôt, mais je suis certaine que ces lumières, que l’on dit “électriques”, sont à l’éclairage ce que l’automobile est au transport.
— Ah, ma très chère Colette, j’aime votre curiosité, votre sagesse, votre digne ouverture d’esprit.
— Papa, papa ! crie Albert.
***
Le petit groupe des quatre amis septuagénaires, dans le petit appartement du 112, tranquillement posés sur des poufs aux couleurs crues, écoute The Freewheelin' Bob Dylan... et tandis que le morceau de choix commence, Blowin' in the Wind, le joint fait son tour de piste.
— Alors, Gus’, je savais pas que t’avais un pote curé.
— Oh tu sais, j’étais gamin, mais ce type était vraiment extra... je veux dire, pour un prêtre.
— C’est lui qui a un ami dans “l’autre camp” ? On les avait vus ensemble en... 45, non ? réfléchit Madeleine à haute voix.
— Si, ’tite sœur... ’tend... Antoine... Antoine Fabien. Je l’ai “bien” connu après la Libération, fait Gustave avec un sourire à l’endroit de Marcos.
— Tu veux dire que... ?
— Eh oui, mon chou. C’était en 1961, quand il m’a aidé à me réfugier aux États-Unis pour échapper aux sbires de l’OAS.
Marcos a beau essayer de comprendre que son chouchou ait pu connaître d’autres hommes avant lui, il est tout de même un peu jaloux.
Soudainement, alors que Dylan les accompagne, une lampe apparaît au milieu d’eux, une vieille lampe à pétrole. Elle clignote de feux orangé-rouges.
***
29 avril 1822. Paris.
Le bureau d’Eugène-François Vidocq bruit de paroles prononcées avec prudence.
— Alors, comme ça, jeune Latue, tu es versé dans la langue de Dante ?
— Oui, monsieur Vidocq.
Ce dernier se tourne vers le lieutenant Dieuleveult.
— Donc, si j’ai bien compris, ces deux spadassins devraient déjà être dans notre capitale, à vouloir trucider l’un de nos héros nationaux ?
— Oui, Raffaello Capovilla et son âme damnée, Federico Genero.
— Mais quel est leur mobile, mis à part l’argent bien sûr ?
— Selon votre ami, l’inspecteur Amedeo Scarfacci, à Asti, il semblerait que le commanditaire soit un très haut personnage en Italie, et plus particulièrement au Vatican.
— On en sait plus ?
— Pas pour le moment.
Le chef de la Sûreté, Vidocq, est très énervé.
— Bon, toi Clément, tu te charges de me mettre ça sous les verrous.
— Sans raisons ?
— On s’en fout, on verra après ! Il n’est pas question que le maréchal Jarot, un ami proche du roi, soit assassiné... en tout cas, tant que je suis ici. Et toi, mon jeune Jérôme Latue, tu vas aller à Washington. Tu iras voir l’un de mes... amis, du temps de Toulon.
— Qui ça ?
— Hughes Lafontaine, un des amis de Babeuf, réfugié aux États-Unis en 94. Aux dernières nouvelles, Hughes était hébergé chez un ami de William Godwin, Thomas Penddleton, un autre écrivain aux idées révolutionnaires.
— J’y vais comme ça ?
Eugène rit à gueule déployée.
— Mais non, je te fais un mot d’introduction, sinon, le connaissant, tu finirais dans le Potomac, un boulet aux chevilles. Hughes est un ancien séminariste, et il a connu notre pape Pie VII du temps où il s’appelait encore Barnaba Chiaramonti. Il le déteste avec passion... “Pissette”, tu connais ?
Un ange passe.
— ...Trêve de plaisanterie. Thomas a toutes ses entrées au Vatican. C’est quelqu’un de confiance. Tu pars de suite.
[1] On appelle ainsi le fameux “Washington Post”, le quotidien qui révèlera quelques années plus tard le scandale du Watergate. Le Post est une “institution”.
[2] Pardonne-moi lecteurice, je me suis permise ici un petit décalage temporel... ce morceau n’a été enregistré aux USA que le 29 décembre 1902 chez John Stark & Son. C’est le morceau de Scott Joplin peut-être le plus connu au monde.
(Suite au prochain épisode...)