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LA TROISIÈME ESPÈCE
Chapitre 1
BRUXELLES


Théo Dewez sort de la librairie “La jeune Parque”, rue des Éperonniers. Cette fin de journée d’automne est fraîche, alors Théo s’était mis sur le dos le vieux par-dessus, un vieux machin que son paternel portait déjà jeune, en 1871. C’est une relique familiale, l’objet... le second objet aujourd’hui, auquel il tient le plus.
En effet, il marche sur le trottoir éclairé par les lampadaires municipaux de Bruxelles, tenant entre ses deux mains comme un trésor, l’ouvrage qu’il a dégoté dans le coin de la librairie où sont installés les livres rares ou épuisés.
La rue est presque vide à cette heure-ci, cela semble le rassurer, même si de ses yeux il fait bien attention... de... ?
— Théo !
Un homme plus grand que lui et bien plus jeune l’interpelle depuis la fenêtre entrouverte d’un de ces bistrots familiaux qui peuplent encore les villes ou villages en ce début de décennies 60.
Il tourne la tête, presque embêté de devoir lui répondre.
Intérieurement, il soupire.
— Tiens... Antoine, que fais-tu là ?
Il est rieur et dégingandé, habitué du lieu, celui qui interpelle ainsi Théo Dewez.
— Ben, tu vois bien, fripouille solitaire... allez, viens t’en jeter un avec moi, je t’offre.
“Ah non, pas question de me coltiner ce fauteur de paroles inutiles, ce trou sans fond. Pas ce soir”, ronchonne-t-il.
— Non... j’ai autre chose à faire qu’à perdre mon temps dans la mousse tiédasse.
Le grand type, pas plus inquiet que ça, regarde passer Théo maugréant.
— Une prochaine alors !
“C’est ça, c’est ça, quand les autruches auront des dents, pignouf”, sourit-il de son sarcasme silencieux.
Tenant toujours précieusement son “bien” ; lorgnant de droite et de gauche pour voir si personne ne va le lui voler, il se dirige vers l’arrêt du bus 17 qui a remplacé le tram depuis peu.
Mécaniquement, il regarde sa montre.
“18h12... c’est malin, j’ai loupé celui de 18h09... ce satané bus, une belle connerie. Le tram c’était tellement plus...”
Il cherche un argument valable pour son grognement chafouin intérieur.
“...Bruxelles.”
Un bruit sur sa gauche. C’est le bus qui arrive.
“En plus, en retard le 18h09... de mieux en mieux !”
Juste avant de monter, Théo jette un dernier œil soupçonneux.
Alors que le bus repart, il achète comme à son habitude, le ticket auprès du receveur.
— Deux francs, monsieur.
— Je sais, je sais ! dit-il agacé.
“Tac-Tac”. Le receveur lui rend son billet dûment composté par le boîtier à manivelle que tient, sur son ventre, l’employé de la STIB.
Après avoir demandé qu’on lui indique que son arrêt était en vue avant, il va s’asseoir tout au fond du bus, pour mieux s’assurer de tout voir, même si c’était au fond qu’étaient les fumeurs.
“Personne, même pas un nécrosieur de poumons... tant mieux... sale engeance !”

— Prochain arrêt, Étangs d’Ixelles ! éructe à haute voix le receveur, tout en regardant d’un mauvais œil le passager Théo.
Celui-ci descend, tenant fermement son précieux ouvrage entre sa main et son côté droit ; de l’autre, se tenant bien à ce qu’il peut pour descendre.
“Saleté, ces bus !”

Il finit son trajet jusqu’à chez lui, à pied. C’est là, juste au niveau du “Café du Viaduc”[1], lieu emblématique du quartier depuis des lustres, qu’il croise “la Flamande”, madame veuve Margaretha Van den Broeck, qui promène ses trois chihuahuas. Margaretha est toujours habillée en noir depuis la mort de son mari, en 1944... qui fut exécuté par la résistance belge pour complicité avec l’occupant nazi.
Théo déteste lui adresser la parole, mais en “bon chrétien” il baisse cérémonieusement la tête, silencieusement en la croisant.
Un des toutous, pris d’une soudaine envie de vocalises, l’asperge d’aboiements qui se veulent agressifs. Théo le regarde avec condescendance... “Après tout, ce n’est pas de sa faute si l’autre... est une Flamande !”
— Allons Prince, laisse le petit monsieur tranquille, hypocrise-t-elle.
Finalement, Théo arrive à la vieille porte en bois du 140 rue du Viaduc.
Il regarde une dernière fois derrière lui si personne ne l’a suivi. Ferme la porte d'un coup sec, traverse le petit jardin et monte l’escalier jusqu’au deuxième étage.
Il s’essuie les pieds sur le paillasson marqué d’un “Welcome” et ouvre sa porte.
Il allume immédiatement le plafonnier, éclairant d’une lumière jaunâtre une pièce cuisine, sans salle d’eau, et encore moins de bains.
À peine le temps de se mettre en tenue de soirée... pyjama jaunâtre, sortie de bain en guise de robe de chambre... et “son livre”.

Samedi matin, Théo se réveille un peu tard pour lui, 6h45. Il a étudié son livre jusqu’à une heure inhabituelle, et s’est même endormi sur son vieux fauteuil. Mais il en est sûr maintenant...
“Je le savais, je vais pouvoir contacter Samy et lui en parler, il faudra bien organiser une expédition.”
Il éteint son cerveau et se lève, avec la démarche hésitante habituelle du matin. Une toilette matutinale. Un café fort, trois sucres et un bout de pain plus très frais avec un peu de confiture de mûres ; une de celles de “Tantine”. Le tout posé sur un long plat en guise de plateau.
Arrivé sans encombre avec son chargement jusque devant son fauteuil avachi, il pose le plateau à côté, sur “la” table. Juste après, il tourne le bouton de son Philips[2]. Il s’assied et écoute le journal du matin de la BBC World Service, comme à son habitude.
“...bservons[3] aujourd’hui non pas une victoire d’un parti mais une célébration de la liberté ; symbole à la fois d’un renouveau et d’un changement, car j’ai prêté serment devant vous et devant Dieu tout-puissant, tel que nos ancêtres l’ont prescrit il y a près de deux siècles.
Le monde est très différent maintenant. L’homme détient entre ses mains mortelles le pouvoir d’anéantir toute forme de vie humaine, mais aussi celui de favoriser la croissance de la liberté humaine. En cette heure de changement et de défi, une nouvelle génération d’Américains ; née dans ce siècle, trempée par la guerre, disciplinée par une paix difficile et amère ; est fière d’assumer la responsabilité longtemps assumée par nos ancêtres...”
Théo se lève, laissant le discours d’investiture de John Fitzgerald Kennedy de la veille, 20 janvier, continuer sans lui à la BBC.
— Assommant ces hommes politiques... grommelle-t-il en traînant des charentaises jusqu'aux vécés.
Il ferme la porte de ses toilettes et s’assied sur le trône, serré entre le mur de gauche qu’il touche de son coude et le dérouleur à sa droite, posé, depuis qu’il est tombé du mur, sur une pile de vieux livres disparates.

Il revient de sa commission, se rassied et continue son café en écoutant la fin du discours.
“...Citoyens du monde ; ne vous demandez pas ce que l’Amérique fera pour vous, mais ce que nous pouvons faire ensemble pour la liberté de l’hom...”
Théo s’est levé.
— Quel con ce type “la liberté...” gnagnagna ; tu parles ! Mon cul c’est du poulet ! Mais là où il a raison... c’est “ce que nous pouvons faire ensemble.”
Il se lève, décidé. Il va jusqu’à son appareil téléphonique. Ce truc qu’on lui a installé il y a deux ans.
“Voyons... 46 27 53”.


[1] Absolument imaginaire... pour “la cause”. NdA
[2] Modèle Philips B3X72A, accessible, bien mais pas ostentatoire.
[3] Évidemment, sur la BBC, le discours fut retransmis, donc en américain. CQFD.

(chapitre 2, samedi 20 septembre 2025 “Ixelles”)