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Imaginaire n°712
lundi 14 octobre 2024

Il y a des combats à mener.

L’INCONSISTANCE LIBÉRALE

“Monsieur,
Vous êtes convié à prendre contact avant le 15 du mois avec Mme Natarī Satō, si vous omettez cette obligation, nous serons contraints de cesser le versement de votre allocation.
Merci”
Ichirō Watanabe ne s’y attendait pas. L’injonction administrative avait ce relent comminatoire d’un ordre inflexible.
Le tout nouveau gouvernement libéral-nationaliste, aux prises avec un déficit abyssal, désirait faire des économies. Plusieurs pistes avaient évidemment été évoquées lorsque le premier ministre Misheru Barnekâ avait pris ses fonctions. Mais au lieu de demander à certains de participer plus à la répartition, le gouvernement libéral avait opté pour la réduction des aides à ceux que ces dirigeants nommaient des “assistés”.
“Nous voulons encourager le travail et le mérite, au détriment de l’assistanat”, avait dit Mr Barnekâ à la télévision.
Ichirō, après avoir dégluti, prit contact avec la personne citée. C’était une femme, au téléphone, qui ne souriait pas. Il comprenait que sa situation de commerçant sous perfusion sociale, avec le trop petit chiffre d’affaires qu’il réussissait tant bien que mal à réaliser, allait jouer contre lui et qu’on lui demanderait... l’obligerait, à fermer sa boutique et chercher un “travail”. Mais à plus de soixante ans, il savait pertinemment que ça restait illusoire.
La nuit suivante, il dormit très mal, angoissé par l’avenir qu’il pressentait difficile.

***

“Je vous recevrai au centre social pour la première fois le jeudi 14 novembre prochain à 10h30 au Centre d’aide sociale Nakamura, à Kyoto, avant de revenir vous voir dans votre commerce, plus tard.
Je vous mets la liste des documents dont j’aurais besoin pour faire le point avec vous, ainsi que la liste des obligations administratives à tenir en tant que petit entrepreneur, vous ferez le point sur ce qui vous manque et vous le finaliserez d’ici le rendez-vous.”
La liste rébarbative était assommante, mais il fallait en passer par-là pour faire plaisir à Mme Satō.
Ichirō réussit à réunir toutes les pièces demandées. Le jour venu, il prit son vélo pour faire les quarante kilomètres depuis son petit village jusqu’à la préfecture... Kyoto.

***

“Vous comprenez que ce que vous me montrez, ce chiffre d’affaires affligeant ne peut vous permettre de continuer à profiter de la grande générosité de l’État et des citoyens à votre égard,” avait-elle fini par dire sur un ton monocorde, avant de préciser ce qu’il savait pertinemment, “Vous allez vous inscrire à Japon-Travail et chercher d’arrache-pied un vrai travail.”
Ichirō était sorti de son bureau avec des idées éparses, pensant même se faire seppuku devant le Centre d’aide sociale. Ça le fit sourire. Il se remémorait, même si ça n’était pas la même histoire, le fameux suicide de Yukio Mishima et son discours. Il secoua la tête. “Non, Yukio était un écrivain d’exception, mais politiquement arriéré”, pensa-t-il. “Si avec An Lokâ”, qui était son assistante sociale, qu’il tenait pour son amie, “je me battais pour dénoncer cet état de fait, faire payer les pauvres et ne prendre que peu aux autres, les plus nantis ?”
Il lui vint une idée, pour commencer cette bataille contre un État pingre et hypocrite.

***

“Ichirō, votre article va paraître demain dans le Shinbun Akahata[1]”, lui téléphona An Lokâ, “...mais ils ont changé votre titre.”
Il était presque sûr que son titre était trop violent, trop radical.
“Qu’ont-ils choisi ?”
“Aperçu du servage au Japon du xxie siècle.”

[1] Journal du Parti communiste japonais.