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Imaginaire n°715
lundi 21 octobre 2024
La vengeance est un plat qui se mange chaud.
L’INCENDIE
Ashley est d’une humeur massacrante lorsqu’elle apprend la nouvelle, le 15 août 1834. La nouvelle loi à l’encontre des pauvres est destinée à privilégier le travail à “l’assistanat”[1]. Déjà, deux ans plus tôt, en juin 1832, Ashley avait protestée contre l’exclusion formelle des femmes du droit de vote[2].
Ashley Clearwood est une de ces femmes qui, déjà, commencent à s’émanciper. Lectrice assidue de Mary Astell[3], de Mary Wollstonecraft[4] ou de la française Olympe de Gouges[5].
***
Le temps est gris sur Londres, et Whitechapel est encore plus morne que d’habitude. La workhouse[6] sur Angel street ne désemplit pas.
— April ! J’en ai marre, mais réellement marre de cette bourgeoisie. Ce roi est un imbécile.
April, jeune fille d’une vingtaine d’années, timide et réservée, est une des protégées de son aînée. Fille mère abandonnée par celui qui l’a mise enceinte et rejetée par sa famille, les Ambrose de Whitehall.
— Guillaume est un bon roi, madame, il a déjà tant fait pour les noirs.
— Tu es une sotte, April, ce roi est un des pires esclavagistes du royaume[7], profitant de la misère... et je te l’ai déjà dit mille fois, ne m’appelle pas “madame”, finit-elle par sourire.
— Pardon, mad... Ashley.
***
Début octobre, Tout le monde dort dans la workhouse, pourtant, dans la chambre d’Ashley, il y a conciliabule.
— Janet, tu es sûr que ça prendra ?
— Tu peux en être sûre, j’ai déjà testée sur une de leurs églises l’année dernière. Personne ne s’est aperçu de rien et tout le monde a cru à un incendie accidentel.
Janet est une ancienne esclave noire que son “propriétaire” prostituait. Bafouée, violée, utilisée à toutes les tâches ingrates et dégradantes. Depuis, elle est devenue une de ces femmes cherchant à se venger inexorablement de leurs anciens bourreaux.
— Tant mieux, ça sera un coup d’éclat historique. Mais j’aimerai que tu m’accompagne pour voir ça.
Janet la regarde, silencieuse, les yeux enflammés, déjà.
— J’y comptais bien, merci de me l’avoir proposé.
***
La nuit est calme, lorsque deux ombres dissimulées à l’abri d’une des colonnes au sommet de Big Ben, juste au-dessus de l’énorme horloge, scrutent le Palais de Westminster.
— Ça tarde un peu, Janet. Tu es réellement sûre de ton système ?
Sa complice sourit, compréhensive.
— Je te l’ai déjà dit...
Soudainement, la façade de l’édifice est léchée par de grandes flammes sortant du dessous et qui viennent éclairer d’une lueur apocalyptique les ténèbres londoniens.
— ...Tiens regarde !
Une joie terrible s’empare de leurs visages, elles osent se pencher un peu pour mieux profiter du spectacle dont elles sont les metteuses en scène.
— Magnifique, ma sœur ! Tout simplement magnifique !
— Je te l’avais dit, Ashley. Mais descendons maintenant... avant que de ce monument dédié à la domination masculine il ne reste que cendres et poussières !
[1] Refrain connu, pas que d’aujourd’hui. NdA
[2] L'électeur étant défini dans la loi comme “une personne de sexe masculin”.
[3] 1666-1731.
[4] 1759-1797.
[5] 1748-1793.
[6] Hospices du Royaume-Uni d’assistance sociale pour subvenir aux besoins des personnes âgées, handicapés, filles mères, etc.
[7] Charles III insiste sur le fait que le roi Guillaume IV s’est opposé à l’abolition de l’esclavage pourtant voté en 1833. (“The Guardian”, 6 avril 2023).