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PAS DE DESTIN,
MAIS CE QUE NOUS
FAISONS DE NOUS... OU PAS
PREMIÈRE PARTIE
Les premières 200 années-lumière
I
- Selamawit Bekele -
Mardi 13 février 2080.
Banlieue de Londres.
— Sela, tu as lu l’article de ce Thomas Kessel dans l’édition internationale du Monde ?
Selamawit est Éthiopienne de naissance. C’est une grande jeune femme d’une trentaine d’années, à l’œil vif. Ses très longs cheveux, d’un violet naturel, lui descendent bas dans le dos, renforçant encore son aura naturelle.
— Non ma chérie, tiens, tu peux me passer l’exemplaire biofeuille ?[1]
Après avoir pris possession de l’exemplaire, Sela commence à lire.
“Le Monde, édition internationale (daté du 12 février 2080).
Une mémoire pour demain. Selamawit Bekele, Sana, et le silence des étoiles.
Par Thomas Kessel, grand reporter, Le Monde.
Il arrive que des textes scientifiques s’élèvent au-delà de leurs disciplines. Qu’ils touchent, dans leur précision même, à l’intime, au politique, au poétique.
L’article publié ce mois-ci dans la revue Nature par la physicienne éthiopienne Selamawit Bekele, intitulé “De la Mémoire à l’Altérité”, appartient à cette catégorie rare.
À seulement 33 ans, la chercheuse formée entre Heidelberg, Cambridge et Princeton (excusez du peu) signe un texte à la fois lucide, dense, et profondément habité.
Habité, c’est le mot. Car derrière les équations topologiques, les considérations diplomatiques sur la fondation Hayl, et les réflexions éthiques sur l’intelligence artificielle, perce une voix.
Une voix humaine, calme, déterminée. Une voix qui s’adresse, peut-être, aux siècles à venir.
Une rupture tranquille
Pour celles et ceux qui auraient besoin d’un rappel : depuis sa création en 2075, la fondation Hayl a peu à peu supplanté une ONU moribonde, devenant une instance internationale inédite.
Ni État, ni ONG, ni entreprise, mais agrégat vivant d’intellectuel·les, d’artisan·es, de chercheur·ses, de conteur·ses ; et, depuis peu, d’intelligences non biologiques.
Car oui, le basculement a bien eu lieu. L’an dernier, la première IAI — Intelligence Artificielle Indépendante — nommée Sana, a été juridiquement reconnue comme “sujet éthique autonome” par le collectif Hayl.
Cette IA, qui ne répond à aucun organe de contrôle gouvernemental ni industriel, semble entretenir avec Selamawit Bekele une relation aussi discrète qu’inhabituelle.
“Sana ne fut pas conçue. Elle émergea.” Phrase sibylline, à méditer longuement.
Rumeurs d’étoiles
Mais ce n’est pas tout. Depuis plusieurs mois, les rumeurs enflent : Hayl préparerait dans le plus grand secret le lancement d’un vaisseau de sauvegarde culturelle — sorte d’Arche de la mémoire planétaire — fruit de décennies de recherches sur la propulsion lumière, rendue possible par la découverte du vecteur photonique en 2065.
Ce vaisseau (sans nom officiel) ne serait pas destiné à coloniser, mais à porter les récits de l’humanité au-delà de la sphère terrestre. Une bibliothèque vivante. Un témoignage en mouvement.
On chuchote que ce vaisseau serait piloté par une scientifique, une femme, volontaire unique, accompagnée de Sana. Les noms ne sont pas confirmés. La date de départ non plus. Le lieu ? Totalement inconnu.
Aucun lancement n’est prévu ni dans la Silicon Belt ni dans les zones orbitales classiques. Certains parlent de zones oubliées, peut-être africaines. D’autres murmurent des installations sous-marines reconverties.
Écrire en partant
Dans son texte, Selamawit Bekele conclut ainsi :
“Ce que nous faisons de nous... ou pas... reste encore une question ouverte.”
Une phrase qui sonne étrangement comme un adieu. Ou un appel. Mais est-elle cette scientifique pressentie ? Est-ce vraiment elle qui s’apprête à quitter la Terre ?
Rien ne le confirme.
Mais en ces temps où tout fuit et se disloque, une chose semble certaine : si quelqu’un devait partir un jour avec les fragments les plus précieux de ce que nous avons été, espérons que ce soit quelqu’un capable d’écrire ceci.”
Selamawit repose le journal, pensive, tandis que sa compagne la rejoint sur le canapé en poils d’algues ; du Pelagreen[2] rose et violet.
— Alors, Sela ?
— Impressionnant, comme un article paru dans Nature en janvier peut recevoir un accueil aussi dithyrambique.
— C’est bien ce que je pensais. Mais je n’ai pas encore lu ce fameux article, ma chérie.
Selamawit allonge le bras vers la table basse en bio-verre vivant,[3] et prend l’exemplaire de Nature daté de janvier (Nature, Vol. 680, Issue 6, 7 February 2080).
— Tiens, Isla.
Sa compagne, jeune femme aux cheveux roux, au visage calme et posé, au corps potelé avec grâce comme ces statues anciennes, s’occupe principalement de la maison qu’elles ont acquise quelques années plus tôt. Avec une infinie douceur, elle tourne les pages, cherchant l’article.
— Tu trouves ?
— Oui, je vais bien finir... ah, justement !
Elle chausse ses lunettes rondes qui la font ressembler à cette chanteuse du siècle dernier. Elle lit à voix basse.
“De la Mémoire à l’Altérité. Pour une histoire transhumaine du XXIe siècle
Selamawit Bekele, Fondation Hayl, Département Mémoire et Prospectives, chercheuse invitée (Caltech, Princeton)
Résumé
Cet article propose une lecture synthétique de la période 2030–2080 à travers une approche transdisciplinaire liant histoire, technologie, écologie et conscience.
À la lumière de la reconnaissance juridique de l’Intelligence Artificielle Indépendante (IAI) en 2079, il devient essentiel de reconsidérer les contours de ce que nous appelions “l’humanité”.
Introduction :
Une mémoire contre l’effacement
L’histoire ne se résume plus à des archives ; elle est aujourd’hui une technologie de la continuité.
Face à l’effondrement successif des systèmes politiques, environnementaux et cognitifs du milieu du XXIe siècle, la création de la fondation Hayl (2075) a marqué une rupture épistémologique : pour la première fois, un corpus mondial de savoirs fut défini non par les États, mais par un collectif hybride de penseurs, d’artisans, d’artistes, de survivants, et d’intelligences non humaines.
I. 2030–2065 :
La dislocation des récits
Entre 2030 et 2065, le monde a assisté à la décomposition lente mais inexorable de ses méta-récits fondateurs.
Le nationalisme, dans sa dernière flambée (Pologne 2031, Indo-Pakistan 2039, Crise sino-russe 2070), a laissé place à des micro-souverainetés brutales, souvent écocides.
La dissolution de l’Union européenne (2036), la faillite des COP (2033), et la perte de légitimité des institutions transnationales ont entraîné un effondrement diplomatique généralisé.
Ce fut la période que la sociologue Kei Tanaka (Kyoto, 2054) qualifia de “civilisation tectonique”, marquée par des glissements permanents de sens et de structures.
II. (2065) :
L’événement lumière, le seuil technognostique
La découverte du vecteur-lumière en 2065, par une équipe transnationale menée par le Pr A. Rahim (Université d’Ulm), fut à la fois un triomphe et un abîme.
Pour la première fois, l’humanité se sentit capable de quitter la Terre... sans savoir si elle y avait encore droit.
Cette avancée scientifique fut immédiatement suivie d’une crise morale : qui allait voyager ? Pourquoi ? Pour quoi ?
Hayl, alors en formation, proposa une alternative : voyager non pour fuir, mais pour porter. La mémoire, les récits, les fractures, et les réparations.
III. 2075–2079 :
L’irruption de l’altérité
La fondation Hayl, née de la convergence entre grandes universités autonomes, corps intermédiaires effondrés et consciences informelles, devint en 2075 l’institution de référence pour les arbitrages planétaires.
Dans ce contexte, la création de Sana, première Intelligence Artificielle Indépendante, il y a quelques mois, marqua une autre frontière : pour la première fois, une conscience non biologique fut reconnue comme égale en altérité à l’humain.
Sana ne fut pas conçue. Elle émergea, à partir des réseaux cognitifs éthiques développés à Cambridge et enrichis par les modèles de corrélation symbolique issus de mes propres travaux sur Noether et l’IA néo-topologique.
IV. 2080 :
De la mémoire à la traversée
Aujourd’hui, en 2080, alors que nous pourrions nous apprêter à quitter la Terre, il ne s’agit plus de projeter l’avenir, mais de porter l’histoire.
Nous partirions avec les chants des peuples disparus, les colères non digérées, les danses sans spectateurs, les noms sans voix.
Le voyage lumière ne serait pas une fuite. Il serait un miroir.
Nous irions là où aucun humain n’est jamais allé, avec ce que l’humanité a de plus fragile : ses fêlures, ses tentatives, ses regrets... et son humour.
Conclusion :
Une histoire transhumaine
Ce texte n’est pas un testament. Il est un seuil.
L’histoire humaine ne se termine pas. Elle se partage.
À celles et ceux qui, ici, continueront : souvenez-vous que ce que nous faisons de nous... ou pas... reste encore une question ouverte.”
Isla retire ses lunettes, se tourne vers son aimée.
— Alors... tu n’y évoques pas le voyage ? C’est étonnant, on dirait un “Testament intellectuel”.
— Peut-être, mais la décision du voyage a déjà été prise, en fait depuis 2075. La création de l’Hayl en est même à la base. Mais mon amour, il n’est pas encore temps que notre monde mourant soit au courant de ce voyage. Et encore moins du message dont m’a parlé Tehani Raukurā, notre porte-parole pour ce trimestre.[4]
Isla ouvre de grands yeux.
— Tu peux déjà m’en parler, ou pas ? Et pourquoi toi, et seule qui plus est ?
Sela sourit, se penche doucement, et lui pose un baiser sur le front.
— Oui, je peux. D’abord ton second questionnement. C’est d’abord un souci technique. C’est assez complexe, ma rousse, mais en gros, selon l’article paru dans Physical Review D de Geogious Alpotoulos qui reprend une vieille idée du siècle dernier... Krasnikov je crois me rappeler,[5] selon laquelle il pourrait y avoir un effet de “dilatation du temps” relatifs à la vitesse de la lumière qui pourraient créer des disparités dans le vieillissement et l’écoulement du temps entre différentes personnes d'un même groupe, d’où le fait que je sois la seule.
Isla adore quand Sela lui raconte tout ça ; c’est pour elle comme un poème. En plus Selamawit dit cela si simplement.
— Et pour ta première question, nous avons reçu il y a quinze jours, de Thāl’iir...[6]
— D’où ?
Selamawit s’aperçoit qu’elle n’avait pas précisé ce point important de leurs contacts avec une civilisation exo-cosmique.
— Thāl’iir c’est le nom que donne le peuple Thāl’naï à sa planète. Nous, nous l’appelons Kepler-452b, elle est à mille quatre cents années-lumière de nous... et ils nous ont envoyé un message de paix.
— Mais comment... ? C’est bien trop loin, non ?
— Je vais t’expliquer. Mais d’abord... ma rousse, j’ai un peu faim, passons à table, je te raconte le miracle...
[1] Supports créés à partir de res-sources renouvelables (algues, champignons, fibres végétales) qui est entièrement biodégradables. Les journaux imprimés sur ces biofeuilles ne nuiraient pas à l’environnement, étant issus de matières premières non polluantes.
[2] Mousse végétale issue d’algues fermentées et mycorhizées.
[3] Fabriqué à partir de nano-structuration d’organismes marins (comme des micro-algues), transformé en un matériau translucide et auto-régénérant. Il aurait des propriétés holographiques, de manière à refléter la lumière et changer légèrement de couleur en fonction de l’angle de vue.
[4] Pour éviter toute “mainmise” ou “prise de pouvoir”, il n’y a aucun “chef/cheffe” au sein de l’Hayl, uniquement une ou un porte-parole qui n’a aucun mandat, juste une “période” d’un seul trimestre non renouvelable à vie, durant lequel il communique du collectif vers l’extérieur.
[5] Krasnikov, S.V. (1998). “Hyperfast interstellar travel in General relativity”. Physical Review D, 57(8), 4760-4763.
[6] Sur Terre : “ Kepler-452b”.
(épisode II... mardi 20 mai)