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L'OMBRE DE L'ÉCARLATE (I)
- Questionnement -
Paris, 1963. Il fait beau en cet été. Les rues de la capitale grouillent de touristes, harassés de chaleur. En petites grappes, ils sont assis aux terrasses des cafés de la Porte d’Orléans.
Un bus passe, s’arrête, et un curé en sort. Toujours en tenue “clergyman” de couleur grise et une chemise à col romain blanche, comme l’autorise le pape depuis peu.
Il s’avance, décidé, sur l’avenue du maréchal Leclerc, en direction de Saint-Pierre-de-Montrouge, l’église immaculée qui pointe son clocher dans le ciel bleu.
Il s’arrête devant le n°112, prend un papier dans sa poche et semble vérifier qu’il est à la bonne adresse.
Il s’avance, pousse la porte du hall. Regarde sur la liste des habitants.
“Ah... Gustave Jarot, sixième étage, au fond du couloir, à gauche”, lit le curé.
*
— Bonjour mon père.
— Bonjour mon fils, vous voyez, je suis venu à votre invitation, votre lettre m’a intrigué.
— C’est ce que je pensais, mon père... et espérait.
Le serviteur de l’Église est perplexe et un rien curieux de connaître enfin le fin mot de cette lettre.
— Asseyez-vous, je vous en prie, mon père. Voulez-vous quelque chose à boire ?
— Eh bien, après un si long voyage depuis Beaune, ce n’est pas de refus, si vous avez du whisky cela me requinquerait.
Gustave sait les goûts du père Simon, aussi il s’était fendu d’une bouteille de marque, histoire de remercier le prêtre de son long voyage depuis sa province.
— Je m’en suis un peu douté mon père, aussi j’ai acheté de quoi vous “requinquer” de ce long voyage.
— C’est un grand bien que ces attentions, mon fils. Je me souviens que votre père... quand j’ai atteint ma majorité, m’avait offert une bouteille de whisky.
— Tout mon père, rigole Gustave, avec nostalgie.
Le curé a l’impression d’avoir perturbé son hôte.
— Pardonnez-moi, mon fils... quel âge aviez-vous lorsqu’il a disparu ?
Les yeux de Gustave s’embrument.
— Neuf ans, mon père... neuf ans à peine, papa, je m’en souviens, était toujours resté un grand garnement, c’était pour moi comme un ami, c’est sans doute malheureusement pour ça qu’il a disparu si soudainement.
Le prêtre se rembrunit.
— Oui... 1899... une époque troublée. Mais, trêve de papotages, racontez-moi.
Le petit appartement de Gustave Jarot, baigné de soleil, semble s’assombrir à cet instant précis.
L’hôte s’assied en face du père Simon et sert à eux deux un bon verre de l’élixir écossais.
— Vous avez bien raison mon père... voilà, je vais vous conter cette histoire... depuis son début, en...
***
1902, la fin septembre est grise et froide à Paris, le jeune Gustave rentre de l’école.
Au bas de l’immeuble, 112 avenue d’Orléans, il y a un attroupement autour du marchand de journaux.
— Comment ça, il est mort ? Mais comment ? Un coup des militaires ?
— Non, bêtement... le poêle !
— Ah cette sorte de chauffage... quelle plaie !
Le jeune garçon s’approche du marchand, qu’il connaît bien.
— Octave, que se passe-t-il ?
— Ah, mon petit, c’est une grande perte pour la littérature française. Émile Zola est mort cette nuit.
Gustave, fervent lecteur, a déjà lu quelques œuvres de ce grand écrivain.
— Quelle tristesse, monsieur Gachont.
— Oui, mais va... ta mère m’a dit de ne pas t’accaparer. Je crois qu’il y a besoin d’aller faire des courses.
Le jeune garçon sourit, et s’en va en courant, oubliant presque la mort de Zola.
*
— Maman ?
— Ah, te voilà enfin... où étais-tu ?
Le jeune garçon de douze ans se sent pris en faute.
— Je revenais de l’école. Je suis juste resté quelques instants avec Octave. Émile Zola est mort cette nuit, il paraît.
Sa mère, Colette, se radoucit, frotte les cheveux de son “grand” fils.
— Allez ! Va chercher du lait chez madame Toinette, pour ta petite sœur.
À peine sa mère a prononcé ces quelques paroles, que la petite arrive en courant et se jette dans les bras de son grand frère.
— Gustave, mon cher frère. J’ai appris la mort du grand Zola. Tu dois être bien triste ?
La petite, malgré ses huit ans, est très en avance sur son âge. Sa partie de la chambre des enfants est remplie de piles de livres, Baudelaire d’abord, Zola, évidemment, Proust, ça va de soi, Jaurès aussi, et depuis peu... les traductions d’Edgar Allan-Poe, si bien qu’elle a déjà commencé à apprendre l’anglais.
Le jeune garçon, qui adore la petite Madeleine, la poutoune fraternellement.
— Ça devait arriver, tu sais, surtout avec ses procès et les avanies dont il a souffert tant.
Les bras de Madeleine enserrent la taille de son frère. Elle pleure silencieusement.
— Oui, c’était un bon homme.
La mère, tendrement acquise à leurs embrassades, intervient.
— Gustave... madame Toinette, s’il te plaît !
***
Le court récit de sa jeunesse et surtout l’émotion de l’évocation de sa petite sœur, lui tirent des larmes chaudes qu’il essaye de retenir.
— Mon fils ?
Gustave se reprend et relève la tête, en se forçant d’un sourire sincère.
— Oui mon père ?
— Avez-vous des nouvelles de Madeleine ?
— Non, depuis son voyage au Tibet, sur les indications de madame Alexandra David-Néel... aucune.
— À son âge !
— Oui, je sais mon père, ça fait partie du récit que j’ai à vous révéler.
Intrigué, le prêtre se penche en avant, comme s’il devait écouter une confession.
— Madeleine...
Il retient son émotion.
— ...Madeleine m’a dit avant de partir, qu’elle avait reçu un “message” de notre grand-mère.
Le père Simon se rejette sur le dossier de son fauteuil.
— Mais... elle est morte !
— Oui, je le sais bien, c’est le drame familial. Assassinée par on ne sait qui en 1881.
— Mais que va-t-elle alors faire au Tibet ?
— En effet...
L'OMBRE DE L'ÉCARLATE (II)
- La question Madeleine -
Le même jour de 1963, Tibet. À vol d’oiseau, cinquante kilomètres au sud-est de Lhassa, se trouve le plus vieux Monastère bouddhiste tibétain, Samyé.
Une femme âgée se présente à la porte du monastère.
(le dialogue original se déroule en anglais. nda)
— Bonjour, puis-je avoir un entretien avec le moine Tenzin Dorje ?[1]
Le moine à l’air surpris.
— Mais... vous venez d’où ?
Elle lui sourit tout de même, malgré sa marche à pied depuis Lhassa.
— De France.
— À pied ?
Elle se retient de rire.
— Pas très exactement... Geshelags[2], dit-elle par politesse, ne connaissant que peu de mots en tibétain. Prévoyante, Madeleine Jarot s’était un peu renseignée en lisant un volumineux ouvrage dans l’avion de Charles-de-Gaulle à Damxung, qui plus est, la correspondance à Moscou lui avait laissée assez de temps.
Le moine, toujours aussi surpris, ouvre la porte, fort civilement.
— Attendez ici, je vais le quérir.
Elle, a déjà le nez en l’air, à regarder partout les détails de ce lieu si ancien. Toujours curieuse et en quête de savoirs.
*
— Mais ce... “message” que reçût votre sœur. Quand l’a-t-elle reçue ?
— En fait, ça date de longtemps, m’a-t-elle dit. Lorsqu’elle n’avait que huit ans, en 1902.
— Si loin. Qu’en pensez-vous Gustave ? Est-elle folle ?
Non, vous vous rappelez, durant nos vacances, qu’elle a toujours été à gratter plus loin que tout le monde. Ne se satisfaisant pas du “normal”.
Le curé sourit, se remémorant en effet les étés de la fin du siècle dernier, jusqu’au départ définitif de la famille, en reprenant l’appartement laissé vacant par la mort de leur père.
— Oui, je me souviens, mon fils. Madeleine a toujours été une enfant en avance sur tous les autres. Curieuse, et non-conformiste au point d’en être presque blasphématoire.
Il se tait, ne voulant dire du mal de cette petite fille qu’il n’a jamais revu depuis 1900, et que finalement, il appréciait fort.
Il reprend le cours de la discussion.
— Mais connaissez-vous ce qu’elle pense avoir entendu.
Gustave se cale plus profondément dans son fauteuil.
— C’est que, mon père, ce n’est pas uniquement la voix.
***
— Très bien, Gustave, tu as bien fait attention à reprendre la monnaie ?
— Oui maman, j’ai fait attention, Toinette ne m’a même pas vu recompter.
— C’est bien, mon cher enfant, tu fais attention aux autres, c’est important. Et puis depuis que la fortune familiale a été dilapidée...
Elle se retient de pleurer.
Gustave se serre contre elle pour lui remonter le moral.
— Tu pars travailler à quelle heure aujourd’hui, maman ?
— À 22 heures, je suis de nuit à l’Hospice cette semaine.
— Ne t’inquiète pas, maman, je m’occuperai bien de Madeleine.
La petite, qui s’était déjà replongée dans un livre, “Les premiers hommes dans la lune”, dans son édition originale, celui d’un auteur dont on parle de plus en plus... dans les librairies et bibliothèques.
Elle entend son prénom et tourne la tête.
— Oh oui, on va jouer à ce petit jeu que j’aime tant ?
— Si tu veux, Madeleine, tempère sa mère, mais vous ne vous coucherez pas tard. Demain il faut être en forme pour bien travailler. Je rentrerai très tôt. Mais je vous préparerai du thé.
— Je peux le faire, maman.
— Non, non. Tu ne touches pas au feu quand je suis absente.
Gustave se renfrogne un peu quelques instants avant de reprendre son sourire d’enfant.
— Bon... oui maman.
— Au fait, Gustave, j’y pense, c’est toi qui t’es levé la nuit dernière ? J’ai cru entendre le plancher craquer.
— Non maman.
— Ni moi... répond Madeleine entre deux pages.
Elle lève la tête.
— ... c’était peut-être un esprit qui passait.
***
(le dialogue original
se déroule en anglais. nda)
— Que puis-je pour vous, madame ?
Madeleine presque a l’air gêné, la question qu’elle a à poser, lui semble à elle-même, farfelue.
— Est-il possible de remonter le temps, Rinpoche[3] Tenzin Dorje ?
[1] Tenzin : “Porteur de la doctrine” et Dorje : “diamant” ou “foudre”. Le nom des moines bouddhistes est souvent composé. Ces noms portent une signification spirituelle profonde. NDA
[2] Terme de politesse vis-à-vis de tout moine ayant achevé ses études.
[3] Maître reconnu, lama réincarné.
(suite au prochain épisode)